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Notes de lecture

Dans le même numéro

Baudelaire Jazz. Méditations poétiques et musicales avec Raphaël Imbert de Patrick Chamoiseau

novembre 2022

Rapprocher Baudelaire du conteur des plantations esclavagistes : une gageure dont Patrick Chamoiseau, lui-même habile raconteur, se tire avec honneur. Certes, on pourrait penser à bien d’autres parentés entre Baudelaire et les familiers de « l’état poétique » d’où émergent les « visites de la beauté ». On est d’ailleurs en droit de s’étonner de l’opposition suggérée par Chamoiseau entre cette sorte « d’alchimie émotionnelle » qu’est l’état poétique et ce qui serait « l’état de labeur » d’un Victor Hugo. Il n’en demeure pas moins que l’application d’une grille de lecture glissantienne (déjà utilisée dans Le Conteur, la nuit et le panier [Seuil, 2021] du même auteur) paraît ici souvent pertinente. L’idée du « gouffre », par exemple, sur lequel voguaient les bateaux négriers et au fond duquel ils sombraient parfois, est chez Glissant un concept fondateur de l’inconscient des esclaves. Or qui ne se souvient des « gouffres amers » des Fleurs du mal, souvenirs d’un Baudelaire expédié sur les océans par sa mère et son beau-père pour un voyage qui, s’il tourna court, ne l’a pas moins marqué ? Jeanne Duval, sa maîtresse noire, fut-elle pour lui un autre gouffre amer ? Chamoiseau l’interprète ainsi. Un autre concept glissantien, celui de « digenèse », s’applique sans peine aux Africains transplantés de force aux Amériques, cet autre monde où régnaient des maîtres étrangers. D’où l’invention d’une identité à proprement parler « créole », procédant à la fois de l’Afrique et de la culture des maîtres. Concernant Baudelaire, le (bref) exil auquel il fut condamné peut-il servir d’initiation semblable, sinon équivalente ? Sans doute pas, mais il n’est pas moins vrai que le poète eut besoin de s’extirper de son milieu pour accoucher de son œuvre. Le texte de Chamoiseau procède d’une rencontre au musée d’Orsay, à l’occasion du centenaire de la naissance du poète, avec la chanteuse Célia Kameni et le trio de jazz de Raphaël Imbert. En a également résulté un album contenant des morceaux de jazz et des poèmes mis en musique, que l’on peut écouter en scannant un code QR à la fin du livre.

Seuil, 2022
192 p. 17 €

Michel Herland

Michel Herland est professeur honoraire des universités. Il dirige le journal en ligne Mondes francophones. Il est notamment l’auteur des Lettres sur la justice sociale à un ami de l'humanité (Le Manuscrit, 2006) et du roman La Mutine (Andersen, 2018).

Dans le même numéro

Chine : la crispation totalitaire

Le xxe Congrès du PCC,  qui s'est tenu en octobre 2022, a confirmé le caractère totalitaire de la Chine de Xi Jinping. Donnant à voir le pouvoir sans partage de son dictateur, l’omniprésence et l'omnipotence d'un parti désormais unifié et la persistance de ses ambitions globales, il marque l’entrée dans une période d'hubris et de crispation où les ressorts de l'adaptation du régime, jusque-là garants de sa pérennité, sont remis en cause. On observe un décalage croissant entre l’ambition de toute-puissance, les concepts-clés du régime et le pays réel, en proie au ralentissement économique. Le dossier de novembre, coordonné par la politologue Chloé Froissart, pointe ces contradictions : en apparence, le Parti n’a jamais été aussi puissant et sûr de lui-même, mais en coulisse, il se trouve menacé d’atrophie par le manque de remontée de l’information, la demande de loyauté inconditionnelle des cadres, et par l’obsession de Xi d’éradiquer plutôt que de fédérer les différents courants en son sein. Des failles qui risquent de le rendre d'autant plus belliqueux à l'égard de Taiwan. À lire aussi dans ce numéro : Le droit comme œuvre d’art ; Iran : Femme, vie, liberté ; Entre naissance et mort, la vie en passage ; En traduisant Biagio Marin ; et Esprit au Portugal.