
Une contre-révolution catholique de Yann Raison du Cleuziou
Ce livre déborde la Manif pour tous et ses origines, comme l’indique le sous-titre. Il aurait pu s’intituler « La contre-révolution catholique au xxie siècle », car il fait, avec précision, l’histoire des cathos de droite depuis une vingtaine d’années, celle des raisons de leur remontée à la surface après une première période post-Vatican II qui les avait réduits au silence, celle de leurs combats religieux, culturels, politiques, celle de leur « triomphe » au moment des « manifs pour tous » (où ils réussissent une « convergence des luttes » bien au-delà de leur camp), puis celle de la tentative de résistance et d’agitation qui a suivi, et de leur incapacité à surmonter leurs divisions multiples – avant tout dans le champ politique, à l’occasion d’élections diverses –, alors que les convictions éthiques dans le domaine de la « vie » à sauvegarder sont pourtant partagées. Il faudrait préciser : c’est l’histoire des cathos de droite « conservateurs » en matière sociale et sociétale qui est ici racontée, et en partie seulement celle des « tradis » sur le plan religieux, qui ont pris l’avantage dans l’Église catholique sur les « conciliaires » et les « libéraux », et tous ceux qui ne se retrouvent pas dans l’enseignement de la morale sexuelle et conjugale de l’Église. Eux, sur ce point, manifestent une fidélité intransigeante à l’enseignement des papes depuis la légalisation de l’Ivg par la loi Veil, qu’ils continuent de refuser avec vigueur en dénonçant ses prolongements légaux très au-delà de ce qui était prévu en 1974. Ils sont moins clairs sur l’interdiction des méthodes de contraception non naturelles dans l’encyclique Humanae Vitae de 1969 – encore que la « méthode Billings » soit aujourd’hui très à l’honneur et que la remise en cause des contraceptions artificielles trouve, comme Yann Raison du Cleuziou le rappelle, de jeunes militantes qui surfent non sans habileté sur la vague écologique pour mener le combat contre l’emprise de la technique sur le corps des femmes. Mais l’auteur rappelle surtout l’importance, dans les mobiles de cette contre-révolution, de la reconnaissance de droits pour les homosexuels, en particulier le rôle du Pacs (1999). Elle n’est pas seulement une « défaite » pour ces catholiques, mais un tournant où se renverse la charge de la preuve : ils seront désormais acculés à se défendre de l’accusation d’homophobie.
Pourtant, c’est la « théologie politique » de ces chrétiens qui fait l’intérêt de ce livre. Leur question devient en effet : comment résister politiquement à la victoire du relativisme moral, de la tendance libérale-libertaire dont les ravages sont dénoncés à loisir, avec des accents parfois apocalyptiques, dans leurs écrits ? L’auteur retrace avec beaucoup de minutie leurs mobilisations successives, avec toute leur diversité, voire leurs divisions, lors des échéances politiques successives à partir des années 2000 (des mobilisations qui seront autant d’échecs finalement). Il s’intéresse en particulier au rôle de Sens commun, la mouvance politique issue de la Manif pour tous, tout en estimant in fine qu’on a sans doute exagéré son importance et son originalité (idéologiquement, Sens commun n’a rien apporté). On lit avec intérêt le rappel des doctrines théologico-politiques anglo-saxonnes, plus ou moins conscientes, qui sont invoquées et exposées dans certains médias (comme Famille chrétienne) pour soutenir l’action. La redéfinition de la laïcité (qui donnerait sa vraie place à la religion catholique, à l’Église « fille aînée de la République »), la critique d’une immigration dérangeante pour l’identité de la nation France et un conservatisme où revient beaucoup l’idée du nécessaire « enracinement » viennent ici en bonne place. Mais l’auteur, très au fait de l’actualité politique comme de la sociologie religieuse, évoque de nombreuses et diverses pistes de réflexion sur le « rétrécissement du catholicisme » et sa « patrimonialisation », d’autant plus réclamée et instrumentalisée que le catholicisme disparaît culturellement. Le livre a été écrit avant les réflexions d’Olivier Roy (L’Europe est-elle chrétienne ?, Seuil, 2019) sur ce sujet et avant l’échec retentissant de François-Xavier Bellamy aux élections européennes. D’une certaine façon, cette défaite aurait confirmé le diagnostic : les catholiques conservateurs – divisés en nombreuses chapelles et « degrés d’intransigeance » – ont pris l’ascendant dans l’Église, mais ils ne représentent pas une force capable de peser sur l’évolution de la politique et de la culture.