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Notes de lecture

Dans le même numéro

La rébellion zapatiste. Insurrection indienne et résistance planétaire de Jérôme Baschet

novembre 2021

Seule grande expérience contemporaine de la construction par tout un peuple d’un mode de vie alternatif, en marge du capitalisme, le zapatisme mérite qu’on s’intéresse à lui. Jérôme Baschet, maître de conférences à l’EHESS et enseignant à l’Université de la Terre à San Cristóbal de Las Casas, apporte un éclairage nécessaire sur « une critique en acte des expériences révolutionnaires du xxe siècle, en particulier de l’héritage léniniste et guévariste ». Il présente les trois étapes de la construction du zapatisme : celle du « feu », de la lutte armée (1980-1994) ; celle de la « parole », des négociations avec les gouvernements mexicains (1994-2001) ; celle de l’« autonomie » (2001-…). Il analyse son idéologie à la fois anticapitaliste et antiétatique, explique la dimension internationale de son action et rappelle ses racines historiques (parmi lesquelles l’insurrection menée par Emiliano Zapata au cours des années 1910). Enfin, l’auteur consacre la dernière partie de son ouvrage à l’organisation du territoire tenu par les (néo)zapatistes.

Le refus de laisser s’installer une caste dirigeante apparaît comme le principal ressort de cette révolution, ce qui l’a empêchée jusqu’ici de dériver vers un régime autoritaire. La règle cardinale en l’occurrence est mandar obedeciendo (« commander en obéissant »), dont découlent plusieurs corollaires : représenter et non supplanter, obéir et non commander, proposer et non imposer, convaincre et non vaincre, descendre et non monter… Pour y parvenir, les mandats ne sont pas renouvelables, les fonctions publiques sont ouvertes à tous, chacun étant jugé compétent a priori, les représentants ne sont pas salariés et n’abandonnent pas leurs tâches productives, même s’ils peuvent être aidés à cultiver leur champ. Il existe trois niveaux de gouvernement : les communautés (ou villages), vingt-sept communes autonomes regroupant chacune plusieurs dizaines de villages, et cinq zones autonomes qui regroupent entre trois et sept communes suivant les cas, l’ensemble couvrant un territoire équivalent à notre Bretagne. Conformément au mandar obedeciendo, les représentants ne peuvent en principe rien décider sans l’accord de leurs mandants. Rien n’est figé, l’autonomie se construit en faisant (buscar el modo : « chercher la manière ») et en prenant toujours l’avis des intéressés (caminar preguntado).

Tout cela ne va pas sans difficultés. J. Baschet souligne par exemple que les « commandants », membres de la direction politique de l’armée zapatiste, ont parfois davantage d’influence sur les « conseils de bon gouvernement » que ne le veut la théorie. Par ailleurs, la gratuité de l’éducation et de la santé (sauf pour certains médicaments) a pour contrepartie des promotores (enseignants et soignants) peu qualifiés, rémunérés en nature et tenus de participer aux tâches collectives – un choix dicté par les circonstances qui, malgré tout, a permis de scolariser les jeunes Indiens et d’apporter des soins à l’ensemble de la population. Les soins font largement appel à la pharmacopée traditionnelle, tandis que l’éducation « s’enracine dans la réalité des communautés comme dans la lutte pour d’autres mondes possibles ».

Même si J. Baschet ne l’exprime pas en ces termes, la formation idéologique des Indiens du Chiapas n’est pas le moindre rôle de l’éducation zapatiste, ce qui n’empêche pas la défection de certains. Cela étant, la résilience du zapatisme face aux mirages de la modernité et aux manœuvres des autorités mexicaines ne s’explique-t-elle pas avant tout parce que la rébellion s’adresse à une population pauvre, mal armée pour sortir de sa condition et qui trouve un intérêt, de ce fait, à adhérer à une forme de communisme austère ?

Flammarion, 2019
400 p. 12 €

Michel Herland

Michel Herland est professeur honoraire des universités. Il dirige le journal en ligne Mondes francophones. Il est notamment l’auteur des Lettres sur la justice sociale à un ami de l'humanité (Le Manuscrit, 2006) et du roman La Mutine (Andersen, 2018).

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