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Notes de lecture

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Affranchissements de Muriel Pic

novembre 2020

L'autrice adopte un style mêlant digressions historiques et incrustations de photographies d’archives en noir et blanc, publiques ou personnelles.

Affranchissements de Muriel Pic est, entre autres, le récit de l’existence de son oncle Jim, botaniste, philatéliste et devenu bossu à la suite d’une forme de tuberculose. Entre autres, puisque son livre recèle un grand nombre d’histoires associées à la vie de Jim. Né en 1923, décédé en 2001, il grandit sur la Riviera dans une famille britannique qui participe à l’essor du tourisme climatique. Ses parents possèdent l’hôtel Bellevue de Menton. À cause de sa maladie, Jim passe d’ailleurs une partie de sa jeunesse dans un sanatorium pour enfants en Suisse. La mauvaise fortune de sa famille, et sa ruine vers 1938, le conduisent ensuite à Londres. Là-bas, il s’engage avec passion dans le métier de jardinier pour l’université de Londres. En parallèle, il collectionne les timbres, plaisir qu’il partage avec sa nièce, la narratrice, à qui il envoie régulièrement ses trouvailles. En retour, plusieurs années après sa disparition, Muriel Pic reconstitue et imagine la vie de cet oncle mystérieux à partir des traces qu’il a laissées – carnets et souvenirs – et des époques, lieux et atmosphères qu’il a traversés. Outre la figure centrale de son oncle, Muriel Pic convoque le poète et médecin américain William Carlos Williams et d’autres de ses confrères en littérature. Au cœur de son récit, l’on retrouve l’idée d’« affranchissements  », qui donne son titre au livre, comme métaphore postale de la liberté. Muriel Pic interroge également le rôle joué par l’imagination dans la construction de la liberté. Il est difficile de lire Affranchissements sans penser à l’œuvre de W. G. Sebald (1944-2001), auquel Muriel Pic, par ailleurs universitaire, critique et traductrice, a consacré un livre1. Comme l’écrivain allemand, l’autrice adopte un style mêlant digressions historiques et incrustations de photographies d’archives en noir et blanc, publiques ou personnelles. La progression du récit, qui par moments s’apparente à un essai, n’est pas linéaire. Les thématiques mêmes ne sont guère éloignées de celles qu’affectionnait Sebald : les mécanismes du souvenir, la destruction de la nature, l’exil dans les îles Britanniques. Elle s’en distingue toutefois en parsemant le récit de poésies en anglais, dont la traduction française est proposée en regard. Au sujet de la forme littéraire adoptée, Muriel Pic parle d’une « divagation documentaire  », plus loin d’une « poésie documentaire  ». C’est à une attention aux détails que nous invite Muriel Pic : « Les réalités qui passent pour anodines ont souvent le pouvoir de nous faire penser autrement ce que l’on prend pour le bel ordre du monde. Les détails montrent les difformités du système établi dans lequel nous vivons. Ils n’entrent pas dans les cases ou plutôt sont toujours en train d’en sortir par associations, par la force inexplicable du hasard et de l’imagination. […] Voilà pourquoi il est si bon d’aimer, si bon de produire des connexions entre ce qui semble éloigné, si bon d’offrir d’inattendues proximités.  » Le résultat, à la fois beau et plaisant à lire, justifie pleinement une telle démarche.

  • 1.Muriel Pic, W. G. Sebald. L’image-papillon, suivi de W. G. Sebald. L’art de voler, Dijon, Les Presses du réel, 2009.
Seuil, 2020
288 p. 19 €

Benjamin Caraco

Docteur en histoire et conservateur des bibliothèques, Benjamin Caraco est chercheur associé au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (UMR 8058) et coordonne la rédaction du site Nonfiction.

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