
Le Petit Nicolas de Sempé et Goscinny
Pour la majorité de ses lecteurs, de sept à soixante-dix-sept ans, Le Petit Nicolas, c’est avant tout les livres écrits par René Goscinny et illustrés par Jean-Jacques Sempé, qui ont diverti et amusé des générations d’enfants (et pas seulement) durant des dizaines d’années. Or les éditions Imav viennent de republier en album la bande dessinée originale qui donna naissance aux célèbres histoires et dessins de Goscinny et Sempé, et qui parut, comme le rappelle l’éditeur dans le texte de la préface, entre le 25 septembre 1955 et le 20 mai 1956 dans la revue belge Le Moustique. Ce sont donc vingt-huit planches en couleurs, co-signées Sempé et Agostini (pseudonyme utilisé par Goscinny), que l’on découvre (ou redécouvre) ici pour notre plus grand plaisir ; vingt-huit planches, c’est-à-dire vingt-huit historiettes, puisque chaque planche raconte une histoire différente. Les thèmes en sont multiples : du tambour de Nicolas, qui ouvre l’album, au petit Nicolas à la plage, qui le clôt, en passant par le dîner des Moucheboume (dont le nom n’est pas encore mentionné), la partie de ping-pong avec M. Blédurt ou le photographe, ce sont autant d’anecdotes qui nous font sourire et nous replongent dans l’enfance.
On peut remarquer que ces histoires font davantage intervenir l’entourage familial de Nicolas, et plus généralement le monde des adultes, que ce n’est le cas dans les livres. Dans la bande dessinée, en effet, tout tourne essentiellement autour du personnage de Nicolas et de la relation de ce dernier avec son père, auquel arrivent toutes sortes de mésaventures : il est agressé par le coiffeur, se bagarre avec M. Blédurt, est contraint de se réfugier dehors sous la pluie devant sa maison après que Nicolas et ses copains ont décidé de faire une partie de foot dans le salon, voit le mur de sa chambre repeint par des dessins de Nicolas, etc. Les futurs copains de Nicolas, par contre, qui nous amuseront tant, ne sont guère présents et, s’ils le sont, ils ne ressemblent pas à ce que Goscinny et Sempé les feront devenir par la suite : Alceste, par exemple, qui apparaît une fois, ne ressemble pas du tout à l’Alceste que nous connaissons (il n’a pas de tartine de confiture dans les mains !), et Nicolas évolue presque exclusivement dans le monde des adultes (on ne le voit jamais aller à l’école).
Plusieurs planches seront reprises par Goscinny et Sempé lors du passage de la bande dessinée aux livres. C’est le cas en ce qui concerne les récits « Le vélo » ou « La plage, c’est chouette », qui sont développés, et même largement remaniés, à partir de la première version sortie en bande dessinée. Ils deviennent ainsi des récits à la première personne, racontés par Nicolas lui-même, dans le style si particulier que Goscinny a su créer, tandis que les dessins passent au noir et blanc et prennent la forme, si typique là aussi, que leur donne Sempé. L’éditeur a pris soin, dans le cas des deux récits que nous avons mentionnés, de faire figurer côte à côte la planche de la BD d’une part, et l’histoire et les dessins qu’en tirèrent les auteurs d’autre part.
La réédition de la bande dessinée originale du Petit Nicolas s’inscrit dans le regain d’intérêt porté à ce dernier, que ce soit par la télévision ou par le cinéma (l’engouement du public, lui, semble ne s’être jamais démenti) : le film Le Petit Nicolas de Laurent Tirard et la série des dessins animés en 3D sont sortis en 2009 et, en 2014, ce fut au tour des Vacances du petit Nicolas d’être adaptées au cinéma, dans un film également réalisé par Laurent Tirard.
Pourquoi aime-t-on Le Petit Nicolas, et pourquoi peut-on le lire et le relire à tous les âges, alors qu’il s’agit d’histoires par certains aspects très marquées (par exemple avec la non-mixité des classes) ? Peut-être parce que c’est tout un univers d’enfance, celui des personnages comme le nôtre, qui remonte en nous, quelque chose de bon et de chaud qui, pour lointain ou idéalisé qu’il soit, n’est pas perdu et reste en nous, quelque chose au fond de nous en quoi, dans notre vie d’adulte, nous pouvons nous réfugier ; images de l’école primaire, des parties de foot, des tartines du goûter, d’Alceste, Rufus et Clotaire, et d’une enfance que l’on recrée tout autant qu’elle nous recrée, dans une aspiration à l’innocence et à l’insouciance, où le temps n’existe plus et où nous baignons dans le soleil d’un éternel présent.