
Agir ici et maintenant de Floréal M. Romero
Paysan installé en Andalousie, anarcho-syndicaliste de culture, Floréal Romero s’avère un subtil connaisseur de l’œuvre de l’anarchiste américain Murray Bookchin – il a présenté, avec Vincent Gerber, Pour une écologie sociale libertaire de Murray Bookchin (Le Passager clandestin, 2014) – dont il retrace ici le parcours intellectuel et politique tout en y mêlant son analyse de la guerre d’Espagne, ses réflexions sur la théorie de l’effondrement et sa conception de l’écologie sociale. L’auteur fait sien le « triple effondrement énergétique, climatique et alimentaire » pointé par Bookchin pour explorer les pistes conduisant à un communalisme décentralisé, autogéré et émancipateur. Né à New York en 1921 dans une « famille chaotique », le petit Murray est élevé par sa grand-mère russe, juive et révolutionnaire. À 15 ans, communiste, il veut s’engager dans les Brigades internationales pour défendre les Républicains espagnols, mais il est trop jeune. Devant l’attitude des communistes en Espagne, il devient trotskiste puis, après cinq ans comme ouvrier dans une fonderie, anarchiste. Sous le pseudonyme de Lewis Herber, il publie une enquête, The Problems of Chemicals in Foods (1955), qui dénonce les produits chimiques utilisés par l’agriculture productiviste, et un pamphlet anonyme, Stop the Bomb, en réaction à l’essai américain dans l’atoll de Bikini en 1954. Il critique également le gigantisme urbain, qui obéit à l’industrie automobile en dispersant les habitations et en gaspillant l’énergie. Floréal Romero présente les réflexions d’Alfonso Martínez Rizo en matière d’urbanisme social et révèle ainsi un pan méconnu de l’histoire des alternatives urbaines (la symbiose ville/campagne, la décroissance des mégapoles, l’autonomie des communes fédérées au sein de bio-régions). Bookchin adopte alors la notion d’écologie sociale élaborée par l’architecte Edwin Anton Gutkind et lui donne un contenu politique. On le retrouve en Allemagne lors de la création du Parti vert en 1980, puis à Venise en 1984, où il tente sans succès de rapprocher les Verts et les anarchistes, ce qui le conduira à rompre avec l’anarchisme en 1997 et à théoriser le « communalisme », dont le nom rappelle la Commune de Paris. Activer les communes avec des activités économiques locales, ancrer l’action écologiste dans un territoire, décentraliser aussi bien la production d’énergie que les décisions qui concernent les habitants d’une bio-région, généraliser la démocratie directe et l’autogestion, on imagine ce que recouvre le terme de « communalisme » et l’auteur recense les expérimentations qui, ici ou là, lui donnent du sens. « Mais, prévient-il, le communalisme ne se décrète pas, il est en premier lieu un processus de délibération, une mise en commun des paroles et des pensées par laquelle des femmes et des hommes réfléchissent et s’efforcent de déterminer leur action politique. Cette action commune tire toute sa force des émotions partagées lors des luttes sociales, la construction d’alternatives ou la défense d’un territoire, mais aussi de l’engagement et de la détermination politiques à la recherche du bien commun. L’action commune devient ainsi prioritaire devant même le bien commun en soi, car elle le précède et constitue sa source vive. »