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Notes de lecture

Dans le même numéro

Devant l’effondrement d'Yves Cochet

janv./févr. 2020

Ancien ministre de l’Écologie et député européen, Yves Cochet, mathématicien de formation, a déjà alerté l’opinion des conséquences du pic pétrolier (Pétrole apocalypse, Fayard, 2005). Le cofondateur de l’Institut Momentum présente aujourd’hui sa conception de l’effondrement – notion qui vient compléter celles d’anthropocène et de décroissance, et qui a pris de manière spectaculaire dans les médias. L’extinction possible de l’espèce humaine à brève échéance qu’annoncent d’innombrables indicateurs ne semble pas inquiéter les décideurs, par plus que les citoyens. C’est à cause de ce déni qu’Yves Cochet prend la plume. Il ne se satisfait pas non plus de ceux qui dénoncent le capitalisme et pensent qu’en changeant de système économique la planète irait mieux. Non qu’il ignore la lourde responsabilité des multi­nationales dans le saccage des ressources non renouvelables, mais il considère que l’écologie prime dorénavant sur l’économie et que le dérèglement climatique est global et systémique. Aussi ne se range-t-il pas derrière la bannière des écologistes optimistes qui croient réorienter le cours des choses par des actions ponctuelles. L’ouvrage est construit rigoureusement en trois parties, chacune très bien documentée : la première traite des concepts à l’œuvre et analyse les prémices de l’effondrement, la deuxième décrit le processus de l’effondrement à l’horizon 2050 et la troisième imagine l’après-effondrement. À la suite des travaux de Joseph Tainter, Jared Diamond, John Michael Greer et quelques autres, on appelle «  effondrement  » le moment où « les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus satisfaits pour une majorité de la population par des services encadrés par la loi ». La civilisation thermo-industrielle a trop tiré sur la corde, le productivisme poursuit sa course folle pour plus de croissance, la surpopulation n’est pas intégrée au schéma des décideurs. L’énergie, à l’origine de la crise financière de 2008, marque pour Yves Cochet le début du processus ­d’effondrement. « La période 2020-2050 sera la plus bouleversante qu’aura jamais vécu l’humanité en si peu de temps. » Les «  crises  » énergétique, climatique et alimentaire s’entre­mêleront, multipliant leurs effets sur une population vite décimée par les guerres, les épidémies, les famines et les nouvelles conditions précaires de vie. Ce n’est qu’après deux ou trois décennies que les survivants pourront, à l’échelle locale, constituer des microsociétés autogérées, puisant dans le low-tech de quoi satisfaire leurs besoins devenus frugaux, dans la bio-région la structure des nouvelles gouvernances, dans le rationnement le partage des ressources et dans le festoiement la reconquête de la convivialité. L’auteur emprunte à Jean-Louis Vullierme, auteur d’un méconnu Concept de système politique (Puf, 1989), la notion d’« interaction spéculaire » : « La totalité des rapports sociaux entre humains est fondée sur une interaction cognitive, l’interaction spéculaire, qui émerge nécessairement lorsque les individus se rencontrent et qui constitue simultanément leur être-au-monde par une boucle incessante entre l’individu et son environnement. » La dernière partie examine différentes «  positions théoriques  » (l’alarmisme, le catastrophisme, l’effondrement, le développement durable, l’anthropocène, etc.), tout comme elle s’interroge sur l’absence des sciences humaines et sociales dans ce débat. Yves Cochet recense tous les dégâts du productivisme, liste les dysfonctionnements qui affectent le système Terre, fait état des nombreux rapports de savants qui confirment le dérèglement climatique, la fin des ressources fossiles, les extinctions d’espèces vivantes, l’appauvrissement du sol, la pollution des océans, la croissance démographique, etc., pour nous inviter à penser notre monde à l’époque de l’anthropocène.

Les Liens qui libèrent, 2019
256 p. 18,50 €

Thierry Paquot

Philosophe, professeur à l'Institut d'urbanisme de Paris, il est spécialiste des questions urbaines et architecturales, et participe activement au débat sur la ville et ses transformations actuelles. Thierry Paquot a beaucoup contribué à diffuser l'oeuvre d'Ivan Illich en France (voir sa préface à Ivan Illich, La Découverte, 2012), et poursuit ses explorations philosophiques du lien entre nature,…

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Le partage de l’universel
L'universel est à nouveau en débat : attaqué par les uns parce qu'il ne serait que le masque d'une prétention hégémonique de l'Occident, il est défendu avec la dernière intransigeance par les autres, au risque d'ignorer la pluralité des histoires et des expériences. Ce dossier, coordonné par Anne Dujin et Anne Lafont, fait le pari que les transformations de l'universel pourront fonder un consensus durable : elles témoignent en effet de l'émergence de nouvelles voix, notamment dans la création artistique et les mondes noirs, qui ne renoncent ni au particulier ni à l'universel. À lire aussi dans ce numéro : la citoyenneté européenne, les capacités d'agir à l'ère numérique, ainsi que les tourmentes laïques, religieuses, écologiques et politiques.