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Photo : Xiangkun ZHU via Unsplash
Photo : Xiangkun ZHU via Unsplash
Flux d'actualités

Le confinement sans fin des corps et des âmes de Shanghai

par

Didaozi

 Didaozi (« le passeur de couteau1 ») est le pseudonyme d’un intellectuel chinois qui vit dans le Shanghai confiné de ce printemps 2022. Il rapporte la dureté et l’inhumanité d’un épisode où convergent le matraquage idéologique sans relâche du régime, la présence lancinante de la faim dans un contexte d’enfermement indéfini et le sentiment d’absurdité de la politique officielle dite « zéro Covid ».

Il les rapproche des périodes les plus sombres du maoïsme, du Grand Bond en avant à la Révolution culturelle (qu’il a vécus), marquées par l’obstination du dirigeant suprême à faire primer l’objectif idéologique et son maintien au pouvoir sur le monde réel et les intérêts du peuple chinois.

Un ami français familier d’Esprit et connaissant la Chine nous a fait parvenir ce texte traduisant l’enfermement matériel et idéologique des habitants de Shanghai aujourd’hui, avec la seule fenêtre intermittente des réseaux sociaux chinois via la messagerie WeChat.

« Vous devez contenir l’aspiration de l’âme pour la liberté. »

Appel lancé à la télévision par le secrétaire du Parti du Centre de santé psychique de Shanghai en février 2022. Message relayé par les haut-parleurs des drones volant désormais autour des immeubles de la ville.

 

Ma journée-type de Shanghaïen confiné

5 :50 : Participer à la course aux denrées sur internet. Grogner, maugréer, jurer.

6 :00 : S’autotester (test antigénique) avec le kit distribué la veille (les positifs sont sommés de ne pas quitter l’appartement attendant l’ordre). Grogner, maugréer, jurer.

7 :00 : Petit déjeuner simplifié avec ce qui reste au réfrigérateur. Grogner, maugréer, jurer.

8 :00 : Regarder sur WeChat les statistiques du jour. Grogner, maugréer, jurer.

10 :00 : Descendre faire le test PCR obligatoire. Attendre 20 minutes l’ascenseur encombré qui doit transporter quelque 300 habitants des 32 étages de la tour où habite l’auteur. Grogner, maugréer, jurer.

11 :00 : Cuisiner avec le peu qui reste au réfrigérateur et déjeuner tant bien que mal. Grogner, maugréer, jurer.

13 :00 : Participer au groupe des habitants de l’immeuble à la recherche de quoi manger. Grogner, maugréer, jurer.

15 :00 : Regarder sur WeChat des nouvelles vraies (?) et fausses. Grogner, maugréer, jurer.

17 :00 : Cuisiner en s’inquiétant de la diminution rapide de denrées, dîner. Grogner, maugréer, jurer.

19 :00 : Regarder la télé (comme le pays tout entier) et écouter les nouvelles officielles. Le Président se soucie du peuple et dirige la lutte contre le Covid d’une main de fer ; les cadres de tous les échelons s’activent à la lumière des directives du Parti. La situation intérieure et stable et s’améliore de jour en jour. Les dix dernières minutes sont consacrées aux « actualités » à l’étranger. En Occident, rien ne va selon notre télévision officielle, images soigneusement choisies à l’appui. Grogner, maugréer, jurer.

20 :00 : Vérifier le stock au réfrigérateur. Grogner, maugréer, jurer.

21 :00 : Continuer à chercher de la nourriture sur les réseaux sociaux. Et continuer à grogner, maugréer, jurer.

22 :00 Couché sans trouver le sommeil. Concocter en tête le menu du lendemain en s’inquiétant de la diminution rapide de denrées alimentaires. Grogner, maugréer, jurer avant de sombrer dans les bras de Morphée.

Faut-il ajouter que, depuis plus d’un mois que le confinement a été déclaré à Shanghai, aujourd’hui ressemble à hier, demain à aujourd’hui, le réfrigérateur vide et la faim en plus ?

« Ne te renferme pas dans ta chambre. Va te promener dans le salon, dans la cuisine ou dans les toilettes ! »

« Ne te renferme pas dans ta chambre. Va te promener dans le salon,
dans la cuisine ou dans les toilettes ! »

Les Directives suprêmes du confinement 

« Sous la direction du Parti, tant qu’on a des hommes, nous pourrons créer tous les miracles du monde. »
– Mao Zedong

« Tant que nous nous en tiendrons à la direction du Parti, nous pourrons réaliser tout ce que nous avons envie de faire. »
– Xi Jinping

« S’il existe des Jeux olympiques de lutte contre le Covid, la Chine remportera la médaille d’or. »
– Xi Jinping au grand meeting en l’honneur des JO d’hiver de Pékin.

« Shanghai est une ville sous la ferme direction du Parti et non pas de l’Occident. Les cadres dirigeants du Parti de Shanghai doivent comprendre la nature de cette lutte contre le Covid. Elle n’est pas simplement une question de santé publique, mais celle de position politique, une lutte entre systèmes politiques, une lutte de puissance de l’État, une lutte de compétence en gouvernance, même une lutte entre idéologies et cultures. Il est impératif de se mettre au diapason avec le comité central et de ne pas faire autrement. »
– Xi Jinping, directive transmise par Sun Chunlan, vice-premier ministre, aux cadres dirigeants de Shanghai.

« Covid zéro ou coexistence avec le virus, c’est une lutte entre deux conceptions du monde, deux politiques d’État, deux approches opposées, en dernière analyse, entre deux régimes, socialiste et capitaliste. »
– Sun Chunlan, vice-Premier ministre.

Et, ajoute avec sagacité un Shanghaïen : « Au fond, c’est une lutte pour défendre la couronne de l’empereur actuel ».

La poussière sans importance de nos existences

Des milliers de vies broyées sont évoquées quotidiennement sur WeChat, notre messagerie en ligne, avant d’être presqu’aussitôt effacées et de revenir inlassablement… La lutte contre le Covid n’est qu’un prétexte pour enchaîner nos existences quoi qu’il en coûte.

-       Des nouveaux nés testés positifs sont arrachés à leur mère.
-       Un mari est entraîné de force pour être mis en quarantaine alors que sa femme suffoque à cause de la maladie qui provoque sa mort.
-       Une infirmière qui a une crise aigüe d’asthme se voit refuser par l’hôpital où elle travaille. Traînée d’hôpital en hôpital, elle meurt finalement.
-       Des malades qui ont besoin d’une dialyse, d’une chimiothérapie ou d’une opération chirurgicale urgente ne trouvent pas d’ambulance et faute d’hospitalisation, meurent en grand nombre.
-       Un homme souffrant de pancréatite sillonne la ville sans trouver de service d’urgence pour le soigner. Rentré chez lui et désespéré, il ne supporte plus la douleur et se jette par la fenêtre de l’appartement où il vit avec sa femme et sa fille.
-       Une personne âgée subit une crise cardiaque. Elle n’a besoin que d’une seule piqûre pour continuer à vivre. Elle attend en vain devant l’hôpital le résultat de son test PCR pendant trois heures et finit par succomber…

De tels drames se produisent quotidiennement. La plupart des habitants restent silencieux, voire indifférents. « Oui, quand cela tombe sur la tête d’une personne, cette montagne l’écrase. Mais dans la multitude, ce n’est qu’un grain de poussière », se console-t-on. Nous ne sommes que de la poussière finalement.

Un ghetto New Age sous la férule des « Grands blancs »

 

Une circulaire du Bureau de direction de protection et de contrôle du District de Pudong, datée du 24 avril 2022, annonce une nouvelle mesure de 硬隔离 ying geli : « isolation matérielle » avec des grillages ou des tôles clos et verrouillés. Elle sera mise en place dans les zones de « confinement » et de « contrôle » dans un délai de 24h2. Des patrouilles de gardiens assurent sans faiblir l’exécution de cette mesure dans chaque quartier. La circulaire exhorte les cadres à bien expliquer la nécessité de cette mesure afin d’obtenir la compréhension et le soutien de la population.

Nombreux sont les habitants qui s’insurgent face à ces « Grands blancs3 »

 » qui verrouillent ce grillage les enfermant dans leur immeuble :

–      Nous sommes en prison !
–      Qu’allons-nous faire si un incendie se déclare ?!…
–      Nous sommes comme les Juifs que les Nazis avaient systématiquement enfermés dans des ghettos et dans des camps !

     
 

Qui a entendu cet appel au secours ?

« Mes parents nonagénaires survivront-ils à la bataille contre le Covid4 » ?

Mon père Lu Shijie, a 93 ans, ma mère Xu Hui’an, 90. Retraités respectivement de l’Université polytechnique de Huadong et de l’Université normale de Huadong, ils habitent avec une femme de ménage. Mon père est plutôt en bonne santé, tandis que ma mère est alitée à la suite à une fracture de fémur. Souffrant d’une grave bronchite, elle a besoin d’inhaler de l’oxygène. Tous deux sont malheureusement atteints du Covid. Après l’avoir signalé au comité du voisinage, je me vois répondre qu’ils doivent être transportés comme testés positifs dans des baraquements pour être mis en quarantaine. J’ai beau protester à plusieurs reprises et demander une quarantaine à domicile vu l’état de ma mère, on me répond catégoriquement qu’il s’agit d’une consigne d’« en haut » et qu’il faut les transporter tous les trois. Quelqu’un portera ma mère sur le dos et l’aidera à descendre (quelle humanité !) Ils sont transférés à minuit dans un baraquement aux conditions déplorables dans lequel aucune visite n’est autorisée. Une latrine sommaire pour tous. Comment faire pour ma mère qui a perdu toute autonomie ?

Le principe de la lutte contre le Covid n’est-il pas de préserver la vie ? Pourquoi mettre la vie de ma mère en danger au nom de ce principe ?

Mes parents sont tous les deux des membres vétérans du Parti qui ont aimé et servi toute leur vie le pays. Comme tant d’autres dans leur situation, vont-ils pouvoir survivre à cet emprisonnement qui ne dit pas son nom ? En ce moment, mon angoisse est extrême.

 
     


En ce moment critique, « Ne craignons pas les sacrifices », comme nous l’enseignait le président Mao. Et même si ce sacrifice représente la vie de l’un de nos proches. Que sont devenus nos droits de citoyens ? Ils s’effacent devant l’ordre absolu de l’État. En chinois, le mot « État » se dit 国家guojia. Clairement, 国 (État) devant 家 (famille). Pas de ruisseau sans rivière.  Pas de vraie famille sans l’État. Ainsi, les intérêts de l’individu doivent céder devant ceux du collectif. Ces idées nous sont instillées quotidiennement et prennent racine dans notre cerveau.

Ainsi, par politique du zéro Covid, faut-il entendre « nature humaine zéro », « intelligence zéro », « raison zéro », « droits de l’homme zéro », etc. Au fond, la grandiose lutte contre le Covid n’est qu’une nouvelle campagne d’envergure visant à tester la limite de soumission de notre population. Elle vise à transformer un milliard de sujets en robots réagissant automatiquement aux ordres donnés, acceptant n’importe quel sacrifice et continuant à chanter l’éloge de l’Empereur-Président-Big Brother.

Histoires drôles

Comme tous les Chinois, les Shanghaiens ne sont jamais en panne d’histoires comiques pour exprimer l’absurdité de leur quotidien.

Un dirigeant de Shanghai s’adresse aux testés positifs confinés dans un baraquement de quarantaine :

–      Votre libération point déjà à l’horizon. 
Un enfant qui ne comprend pas demande :
–      Que veut dire l’horizon ?
Un adulte lui répond :
–      L’horizon est une ligne que l’on peut voir au loin, mais que l’on n’atteindra jamais.

Lors d’une conférence de presse sur la lutte contre le Covid, quelqu’un demande :
–      Les conditions des baraquements de quarantaine sont-elles vraiment bonnes comme vous les décrivez ?
–      Bien entendu, répond le conférencier. Il y a six mois, quelqu’un a posé la même question que vous. Nous l’y avons envoyé pour faire l’expérience. Il a tellement aimé cet endroit qu’il n’en est toujours pas revenu.

Une personne âgée partie se faire tester tombe dans un lac et crie au secours. Deux policiers passent et continuent leur chemin comme si de rien n’était. Tout à coup, le vieillard lance :
–      Je suis testé positif !

Sur le champ, les policiers, alertés, le sortent de l’eau et l’emmènent pour le mettre en quarantaine.

Un Shanghaïen attrape un poisson et le ramène à la maison.

–      Regarde, nous avons un poisson frit au dîner, dit-il joyeux à sa femme.
–      Mais nous n’avons plus d’huile.
–      Alors nous le ferons bouillir.
–      Je n’ai pas de casserole.
–      À griller !
–      Il n’y a plus de sel.

Contrarié, désespéré, l’homme revient au lac et jette le poisson dans l’eau. Le poisson qui échappe ainsi à la mort crie joyeusement :

–      Vive la politique du zéro Covid !

Un responsable de quartier demande à son supérieur :

–      Les habitants de notre quartier n’ont plus de denrées alimentaires. Merci de nous en fournir.
–      Demandez-leur de serrer la ceinture !
–      Alors, merci de nous fournir des ceintures.

Dans un village du nord de la Chine, une mère dit à son fils :

–      Il ne faut pas gaspiller les aliments. Sache que les petits enfants shanghaïens n’ont plus rien à manger.

L’enfant ne l’écoute pas et continue à faire ses bêtises. Sa mère se fâche :

–      Si tu ne m’écoutes pas, je t’enverrai à Shanghai !

Effrayé, l’enfant se calme aussitôt.

Une femme dit à son mari : « Promets-moi de contrôler ton humeur.
Si on se fâche, je ne pourrai même pas partir de la maison ! »

Le chinois, langue magique d’un nouveau genre

Plutôt que d’évoquer un « confinement général », les autorités utilisent en Chine une novlangue orwélienne souvent incompréhensible dont voici quelques exemples :

动态清零, dong tai qingling : « la politique de Covid zéro dynamique » 

社会面清零, shehuimian qingling : « le Covid zéro sur l’échelle sociale » (autrement dit : tous les testés positifs mis en quarantaine dans des baraquements temporaires)

全域静态管理, quanyu jingtai guanli : « la gestion statique sur toute la zone »

精准防控, jingzhun fangkong : « prévention et contrôle de façon précise », c’est-à-dire ne confiner que l’immeuble où la contamination est découverte pour une courte durée déterminée. Cette politique pratiquée notamment à Shanghai a été jugée par le pouvoir de Pékin comme contestataire par rapport à celle du « zéro Covid » définie par le leader suprême. Ainsi a été « parachutée » à Shanghai la vice-première ministre Sun Chunlai pour corriger le tir et imposer l’exécution sans faille de la directive suprême. Commence ainsi le calvaire à Shanghai !

« Gagnons la bataille contre le Covid ! »

Vieille antienne, le régime recourt à la métaphore de la guerre – combien en avons-nous déjà connu auparavant ?!  – à remporter absolument avant hélas la prochaine à venir. Quand cesserons-nous un jour de combattre pour combattre ?

Jeune garde rouge, j’ai participé à la Révolution culturelle. Mao Zedong avait dit :

« La philosophie du parti communiste se ramène à une philosophie de lutte. »

« Quel plaisir que de lutter contre le Ciel ! Quel plaisir que de lutter contre la Terre ! Quel plaisir que de lutter contre l’Homme !  »

Guerre, bataille, combat, lutte, mouvement, révolution, c’est ce à quoi le parti communiste excelle, que l’ennemi soit le Guomindang (les Nationalistes), les moineaux, les révisionnistes soviétiques, les impérialistes américains, les droitistes, tous les ennemis de classe, ou, aujourd’hui, le virus.

D’où les mots d’ordre actuels de la lutte contre le Covid :

« Cette bataille contre le Covid est un combat d’interception, un combat décisif, une lutte entre les régimes (socialiste et capitaliste).

Nous devons commander cette bataille en première ligne avec la carte militaire au mur et avancer ponctuellement en regardant la montre.

Tous les cadres du Parti doivent être fidèles à leur serment militaire pour remporter la victoire dans cette bataille. »

Au fond, cette lutte contre le Covid se ramène au combat entre la vie et la liberté, comme l’ont bien compris les Shanghaiens.

– Les Occidentaux : Sans liberté, à quoi sert la vie ?

– Les Chinois : Sans vie, à quoi sert la liberté ?

Avec la conclusion tirée de deux ans de confinement sévère :

– Sans liberté, tu vas mourir de faim.

Positif ou négatif, les nouvelles faces du Yin et du Yang

Aujourd’hui, la Chine se divise en deux mondes. Le monde du Yin (ceux qui sont testés négatif) et celui du Yang (les testés positif). Dans la culture chinoise, le monde du Yin se réfère au monde des morts alors que le monde du Yang, celui des vivants. Actuellement, dans le monde du Yang, placé dans les baraquements temporaires de quarantaine, la plupart des gens n’ont aucun symptôme. Malgré des conditions sanitaires et d’hébergement souvent déplorables, on y trouve au moins à boire et à manger… Dans celui du Yin, on est enfermé chez soi, en manque d’aliments, on court à la chasse aux denrées, on subit des tests à n’en plus finir, on risque de mourir de faim et surtout, on a peur de contracter une maladie aigüe. Décidément, le monde est tombé sur la tête !

Un Shanghaïen a eu l’idée géniale de séparer la ville en deux zones avec le fleuve Huangpu comme ligne de démarcation, Pudong (à l’est de Huangpu) et Puxi (à l’ouest du fleuve) et les peupler respectivement de ceux testés Yang (les positifs) et de ceux testés Yin (les négatifs). L’approvisionnement est assuré de chaque côté par des gens dans une situation identique. Il faut d’ailleurs interdire aux oiseaux de la zone Yang de voler vers la zone Yin. Pour cela, nous pouvons tirer parti de l’expérience de l’extermination des moineaux en 1957. Elle consistait à battre sans cesse gongs, bols, casseroles et tout ce qui sonne pour épuiser les oiseaux qui finissaient par tomber et être massacrés. Résultat, les insectes nuisibles se mirent à pulluler… La même chose va-t-elle survenir pour le Zéro Covid ? 

La pureté à tout prix, la victoire sans fin

On compte à Shanghai 130 000 personnes testées positif. Parmi elles, on enregistre très peu de symptômes graves et donc de morts. Conclusion : les sans-symptômes ou ceux ayant des symptômes légers représentent 99, 99% du total, une proportion presqu’aussi parfaite que les puces de silicone des semi-conducteurs.

Dirigeant : « Ouf ! Nous avons enfin détecté un cas de symptôme grave. Cela prouve que le virus est extrêmement nocif. Nous avons remporté le combat ! »

Le secrétaire du dirigeant : « Comme la politique du zéro Covid est clairvoyante et juste ! Sauf qu’il faut traiter vite ce patient, sinon il va guérir de lui-même. »

Quand on entend un dirigeant dire : « Nous devons vaincre le virus à tout prix ! » Il ne faut surtout pas croire que tu comptes parmi ces « nous ». Tu n’es en fait qu’un simple « prix » à payer pour atteindre la pureté à tout prix.

Tous les Chinois connaissent cette citation de Mao Zedong :

« Soyons déterminés

Ne craignons pas les sacrifices

Surmontons toutes les difficultés

Pour remporter la victoire. »

Voici la version satirique faisant allusion à la lutte contre le Covid :

Moi, je suis déterminé
Vous, ne craignez pas les sacrifices
Vous, surmontez toutes les difficultés
Moi, je remporte la victoire.

Chez les autres, la lutte contre la pandémie ne connaît pas de victoire, mais une fin. Chez nous, elle ne connaît que la victoire, mais jamais de fin. C’est au fond une victoire à la Pyrrhus. Le combat est remporté mais avec trois doigts coupés en moins !

 


A Zhangjiang, un quartier high-tech dans le Pudong à Shanghai, la police est intervenue de force pour vider plusieurs immeubles et les transformer en « locaux temporaires destinés à accueillir les testés positifs ». Sommés de quitter l’endroit où ils vivent, les locataires protestent en grand nombre et se heurtent à la police.

Un habitant malicieux propose alors : « À Shanghai, il y a beaucoup d’écoles du Parti qui sont des pépinières de futurs dirigeants ainsi que de centres de loisir pour les cadres supérieurs. Ils sont tous très spacieux et se trouvent dans des endroits avec un paysage pittoresque. Pourquoi ne pas les transformer en refuges temporaires pour accueillir les testés positifs ? »

Qu’attend le Parti pour commencer à servir (enfin) le peuple, selon sa devise ?

Histoires drôles (suite)

La maîtresse d’une école primaire de Shanghai s’adresse aux enfants :

-       À Shanghai, grâce au gouvernement, les provisions sont abondantes et les gens vivent heureux.

Ravis, les écoliers lèvent tous la main :

-       Nous voulons aller à Shanghai !

 

Sur CCTV (la télévision centrale)

Selon une nouvelle récente diffusée pour soutenir Shanghai, les gouvernements provinciaux ont acheminé vers la métropole 25 millions de tonnes de légumes et de viande.

Si l’on compte bien, comme nous sommes 25 millions à Shanghai, chacun doit en avoir reçu une tonne ! Oh là là, notre estomac va exploser !

 

Un policier arrête un passant dans la rue :

–      Votre laisser-passer ! 

–      Quel laisser-passer ?

–      Il est interdit de circuler dans la rue sans un laisser-passer spécial.

–      Pourquoi ?

–      Toute la ville est confinée ! Vous ne le savez pas ?

–       Je ne sais pas. J’ai été détenu au commissariat de police et je viens d’être libéré. 

–      Ah ! Je comprends. Mais pourquoi avez-vous été détenu ? »

–      Parce qu’il y a quinze jours, j’ai dit sur WeChat que la ville allait être confinée. La police m’a arrêté pour avoir propagé une rumeur nuisible à l’ordre social. »

 

Question : Comment traiter ceux qui sont testés positif mais qui n’ont pas de symptômes ? Jusqu’à ce que tous les symptômes disparaissent ? Mais ils sont déjà dans ce cas !

Réponse : Il suffit de suivre ce que dit le Parti.

Les chiffres renversants d’une lutte héroïque

Nous sommes fin avril, depuis les derniers 30 jours, Shanghai a dépensé :

-       5, 534 milliards de yuans (0, 8 milliard d’euros) pour les tests PCR (main d’œuvre comprise)

-       2, 075 milliards de yuans pour les tests antigéniques

-       6, 064 milliards de yuans pour la mise en place de centre de quarantaine les dépenses quotidiennes en main d’œuvre et approvisionnements comprises)

Pendant la même période, Shanghai a perdu la recette de :

-       4, 028 milliards de yuans de TVA

-       10 milliards de yuans de loyers de bâtiments de bureau

Soit une perte de plus de 27 milliards de yuans (3, 89 milliards d’euros).

Autrement dit, Shanghai perd 900 millions de yuans par jour. Si l’on y ajoute la perte en termes de PIB, la ville dit au revoir à 12, 7 milliards de yuans chaque jour ! Pendant que vous passez 2 à 3 minutes à lire ce message, 26, 46 millions de yuans viennent de s’évaporer à Shanghai.

 

Où est passé le réel ?

« Que le drapeau du Parti flotte haut à la première ligne de la lutte contre le Covid » : la mise en scène est parfaite.

Un Shanghaïen raconte : « Le secrétaire du Parti de Shanghai M. Li Qiang est venu ‘inspecter’ notre quartier. Moi et plusieurs membres du Parti avons été mobilisés pour ‘‘jouer’’ la belle vie des habitants. Chacun avait son rôle. Moi, je suis descendu chercher des livraisons pour montrer que l’on était libre de circuler. Plusieurs voisins sont allés à l’entrée du quartier pour recevoir les paquets d’aliments livrés à l’occasion de la venue du secrétaire et lui témoigner notre gratitude.

Chez un habitant visité pour l’occasion, le réfrigérateur était tellement rempli qu’il a fallu empiler les aliments sur la table de la cuisine. D’autres ont raconté à ce dernier que nous ne manquions vraiment de rien et que nous étions déterminés à suivre le Parti pour mener la lutte contre le Covid jusqu’au bout. Un reporteur de la télé nous filmait. Nous sommes passés à la télé et nous voilà devenus des stars ! Mr. le Dirigeant, revenez s’il vous plaît ! Nous avons toujours faim ! »

(En 1972, lors de la fameuse visite du président Richard Nixon en Chine, l’auteur avait été mobilisé par le comité de son quartier pour jouer le rôle d’un client faisant la queue devant une échoppe de poisson dans un marché très bien achalandé. Une fois son tour arrivé, il a « payé » et reçu une grosse carpe, un large sourire aux lèvres, un geste exigé par le comité. Une fois le cortège présidentiel passé, tous ont dû rendre leurs achats, le cœur gros.)

Une nouvelle Révolution culturelle contre le virus

Cette « lutte contre le Covid » présente toutes les caractéristiques de la Révolution culturelle de triste mémoire5 :

1.     Le culte de la personnalité atteint son apogée et frôle l’absurdité. L’autorité suprême impose ses quatre volontés ;

2.     Les autorités à tous les échelons perdent le contrôle du pouvoir, ce qui provoque une opposition du peuple au Parti communiste ;

3.     Les directives venant du haut se contredisent, les exécutants ne sachant plus où donner de la tête ;

4.     Les absurdités pullulent et les tragédies se multiplient ;

5.     Devenue gravissime, la rupture sociale pénètre toute la société, y compris les familles et les cercles d’amis. On dresse les « masses » contre les « masses », comme pendant la Révolution Culturelle ;

6.     La politique prévaut sur l’économie, la production ralentit, les écoles ferment ;

7.     Les masses populaires survivent tout en chantant la gloire au leader suprême.

8.     L’opposition tout entière est réprimée et se tait. Une seule voix règne. La terreur gagne l’ensemble des échelons du Parti et du gouvernement ainsi que la population.

9.     La délation est légion, notamment chez les intellectuels. […]

Voilà la Révolution culturelle de retour !

  • 1. Le terme 递刀子 (« passer le couteau ») est issu du « Journal du confinement » de l’écrivaine Fang Fang relatant la vie quotidienne des habitants de Wuhan début 2019 (Wuhan, ville close, Stock, 2020). Ce récit a déclenché une avalanche d’attaques virulentes et haineuses, l’accusant de « passer le couteau » aux forces hostiles étrangères, exprimant la xénophobie croissante d’une partie de l’opinion orchestrée par les autorités. Sur le réseau des voisins de mon immeuble destiné à la course de denrées, quelqu’un a publié une liste de personnes mortes anormalement lors du confinement, déclenchant aussitôt une nuée d’avertissements :
    –       Chut ! Surtout ne laissez pas les étrangers le savoir. Oui, il faut laver le linge sale à la maison.
    –       Ne soyons pas des passeurs de couteau, les diables étrangers n’attendent que ça !
    * « Passer le couteau » est ainsi devenu une expression stigmate, quasi synonyme de trahison, que l’auteur, patriote de cœur a repris comme pseudonyme pour dénoncer l’absurdité de la politique « zéro Covid » et son application inhumaine.
  • 2. Depuis le 11 avril 2022, la ville de Shanghai distingue trois zones de contrôle de la pandémie selon la gravité dégressive de leur contamination par le Covid : zones de confinement ; zones de contrôle, zones de prévention. Le classement de chaque quartier varie de manière continue en fonction des résultats des tests obligatoires auxquels l‘ensemble de la population doit se soumettre trois fois par semaine.
  • 3. La population appelle tous les porteurs d’une combinaison de protection sanitaire intégrale les « Grands blancs » du fait de leur couleur. Parmi eux, il y a des volontaires, des gardiens, des cadres de comité de voisinage, des médecins, des infirmiers, des policiers. On ne peut voir ni leur visage, ni distinguer leur identité
  • 4. Texte publié sur le réseau WeChat, supprimé peu de temps après.
  • 5. Extrait d’un article de l’écrivain shanghaïen Hu Xueyang intitulé « Le printemps te gâte tant » (sic) publié sur WeChat et retiré presque aussitôt.