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Le Mouvement Tournesol des Étudiants (太陽花學運), ou Mouvement 318, tel que nommé par les étudiants, est un mouvement protestataire ayant débuté le 18 mars 2014 au Yuan législatif à Taïwan | Wikimédia (CC BY-SA 3.0)
Le Mouvement Tournesol des Étudiants (太陽花學運), ou Mouvement 318, tel que nommé par les étudiants, est un mouvement protestataire ayant débuté le 18 mars 2014 au Yuan législatif à Taïwan | Wikimédia (CC BY-SA 3.0)
Dans le même numéro

La nation chinoise de Xi Jinping

Quelle communauté de destin ?

décembre 2020

La nation chinoise, qui se définit comme une communauté de destin, doit faire face à de multiples résistances, parmi lesquelles l’exaspération des minorités culturelles et la préférence de Hong Kong et de Taïwan pour la démocratie. Comment préserver les identités politiques et culturelles face à un pouvoir aux ambitions toujours plus hégémoniques ?

À la rentrée 2020, la nouvelle des manifestations en Mongolie chinoise a surpris la communauté internationale qui se battait encore pour juguler la crise sanitaire de la Covid-19. L’offre de récompense lancée par les autorités locales pour mettre la main sur une centaine de personnes soupçonnées d’être des fauteurs de troubles montrait bien le degré de tension dans la région. Ainsi, alors que les camps d’enfermement des Ouïghours dans le Xinjiang font toujours l’objet de condamnations internationales, alors que Hong Kong est encore sous le choc de la loi de sécurité nationale et qu’une épreuve de force se déroule dans le détroit de Taïwan entre la Chine et les États-Unis, voilà que le nord de la Chine est également secoué par des agitations. Le dirigeant chinois Xi Jinping a beau vouloir promouvoir une « communauté de destin pour l’humanité » sur la scène internationale, son projet pour consolider une « communauté nationale chinoise » semble souffrir de difficultés à vivre ensemble avec les territoires périphériques.

Difficile équilibre entre l’unité et la diversité

Dès son arrivée au pouvoir en 2013, Xi Jinping ambitionnait un renouveau de la nation chinoise et l’a d’ailleurs fait inscrire dans la charte du Parti communiste chinois (PCC) et dans la Constitution en 2018. La « nation chinoise » est désormais définie comme une « communauté de destin » et les médias officiels, tout comme les organes du Parti, se relaient pour souligner la nécessité d’en forger la prise de conscience.

Ce discours sur le renouveau de la nation chinoise s’accompagne d’un appel à une « communauté de destin pour l’humanité » sur le plan international, proposant un modèle de société alternatif chinois par opposition à celui de l’Occident. Une corrélation est établie par les médias officiels entre la « communauté nationale chinoise  » et la « communauté de destin pour l’humanité » : la première doit inspirer la seconde qui, à son tour, « participe à une restructuration de l’ordre international ».

Cette communauté nationale chinoise serait ainsi l’exemple d’une entente harmonieuse entre les diverses composantes d’une nation multiethnique, en attendant une réunification avec Taïwan. Elle prétend s’appuyer sur l’histoire et la tradition communes et fait valoir le leadership indiscutable du PCC, ainsi que les valeurs du « socialisme aux couleurs chinoises », qui excluent implicitement celles qui sont considérées comme occidentales, telles que les libertés, la démocratie ou les droits de l’homme.

Mais cette nation chinoise définie comme communauté de destin doit faire face à un double défi. D’un côté, une tension intrinsèque entre l’unité autour de la « nation chinoise » et la réalité d’une diversité multiethnique, et de l’autre, la préférence de Hong Kong et de Taïwan, indépendant de fait d’ailleurs, pour une démocratisation à l’occidentale.

La « nation chinoise », expression communément utilisée mais au contour flou, est surtout le fruit d’une construction relativement récente. Elle ne désigne pas un groupe ethnique homogène, mais un ensemble de différents groupes vivant sur un territoire géographique hérité de l’histoire. De nombreuses études font remonter l’apparition de cette notion au début du xxe siècle, quand les convoitises des puissances étrangères ont fait sentir la nécessité d’unir toutes les forces de l’empire du Milieu autour d’une identification commune. La notion de la « nation chinoise » s’impose alors progressivement dans l’espace public, au détriment de la réalité d’une diversité ethnique. Les différents groupes composant cette nation se fondent peu à peu dans une union dominée par les Han, majoritaires, dont la langue est promue au nom de la nécessité de communication interethnique. À l’heure où la globalisation ravive des revendications identitaires, la résistance à l’avancée de la sinisation au mépris des cultures des groupes ethniques se conjugue avec les mécontentements face aux inégalités du développement économique, nourrissant ainsi la hantise du PCC d’un éclatement du pays à l’instar de l’ex-URSS. La politique d’assimilation s’accélère alors, afin de consolider la conscience d’une « communauté nationale chinoise ».

Les identités en péril des minorités

L’assimilation a toujours été privilégiée dans la politique ethnique chinoise, en raison d’un chauvinisme han traditionnel et de la volonté du pouvoir communiste, méfiant envers les religions, d’homogénéiser la pensée, bien que le droit des ethnies minoritaires à la sauvegarde de leur héritage culturel soit inscrit dans la Constitution. Les méthodes d’assimilations forcées appliquées auparavant dans certaines régions dites sensibles, telles que le Tibet et le Xinjiang, se généralisent d’ailleurs dans le reste des régions autonomes.

Fin août 2020, une décision du Bureau de l’enseignement de la Mongolie intérieure met en émoi parents et élèves. Le chinois, jusqu’alors enseigné seulement à partir de la deuxième année de l’école primaire, sera désormais enseigné dès la première année et les cours d’histoire seront dispensés en chinois. Aux yeux de la population, cette modification du programme pédagogique dans l’enseignement primaire et secondaire signe la mort de leur langue et culture traditionnelles. C’est également à cette occasion qu’ils ont appris que les écoles mongoles situées au sein de la région autonome du Xinjiang ont déjà supprimé les cours de cette langue et que les professeurs de mongol ont été obligés de changer de métier.

Les méthodes d’assimilations forcées appliquées auparavant dans certaines régions dites sensibles, telles que le Tibet et le Xinjiang, se généralisent dans le reste des régions autonomes.

Les mouvements de protestation se sont vite multipliés aussi bien en Mongolie intérieure qu’à l’étranger, alors même que les Mongols sont pourtant cités comme un exemple d’intégration. En effet, à la différence des Tibétains et des Ouïghours, pour les Mongols, Gengis Khan était bien un empereur chinois, et ses descendants sont donc également chinois. Cette double identité ambiguë a fait que les Mongols ont jusqu’à maintenant été moins réticents à la politique de sinisation. Cependant, la récente annulation de l’exposition à Nantes sur l’empire mongol et Gengis Khan montre que les autorités chinoises tentent même de réécrire cette histoire2.

Ces manifestations ont vite été mises en sourdine par les autorités, mais elles ont pu mettre en lumière une exaspération, souvent réprimée, des groupes ethniques face à la destruction progressive de leur identité culturelle. Le guide spirituel des Tibétains, le dalaï-lama, considère depuis des années que les Tibétains sont en train de subir un génocide culturel ; un sentiment partagé par les Ouïghours du Xinjiang.

En parallèle du renforcement de l’enseignement du chinois, le contrôle des cultes est en marche accélérée. La sinisation des cultes a été clairement formulée dès 2015, réitérée par le XIXe Congrès du Parti et touche l’ensemble du territoire chinois. En 2019, les principales religions se dépêchent de publier leur plan quinquennal pour répondre à l’appel du Parti. Des images invraisemblables circulent même sur les réseaux sociaux, qui montrent des moines taoïstes ou bouddhistes en uniforme de soldat chantant des chansons révolutionnaires devant le portrait de Xi Jinping. Les chrétiens ne sont pas épargnés non plus. La sinisation touche non seulement les modes de pratique religieuse, le style architectural des mosquées et des temples, mais également les grands textes de cultes. Il y a un an, l’ordre a été donné de réviser des textes religieux qui « ne sont pas conformes au progrès de l’époque  » et qui « doivent être adaptés à l’ère du président Xi Jinping ».

Cette politique frappe particulièrement les Tibétains et les Ouïghours, qui ont une forte tradition religieuse. Depuis des années, il est demandé aux premiers d’accrocher dans les temples le portrait du dirigeant chinois, tandis que celui de leur chef spirituel, le dalaï-lama, est interdit : la possession de son portrait est même criminalisée.

Quant aux Ouïghours, musulmans turcophones, Pékin a profité de la lutte internationale contre le terrorisme pour renforcer son contrôle dans la région. De nombreuses mosquées ont ainsi été détruites, les pratiques sont sous haute surveillance, et même les tenues vestimentaires sont codifiées par les autorités. Des centaines de camps d’enfermement, dont l’existence a été révélée par des ONG et des chercheurs, ont ainsi comme objectif, selon les termes officiels, de lutter contre la radicalisation.

Selon les estimations, au moins un million de Ouïghours sont enfermés dans des camps sans aucune procédure judiciaire. Les autorités chinoises prétendent qu’il s’agit de centres de formation professionnelle, alors que les nombreux témoignages de ceux qui ont pu quitter ces centres font état de mauvais traitements et de travail forcé. Des cas de stérilisation forcée ont même été rapportés. La répression touche particulièrement l’élite de ce peuple. Deux cent trente intellectuels font l’objet de condamnations arbitraires depuis 2016, selon les chiffres du World Uyghur Congress. Abdukerim Rahman, professeur à l’université de Xinjiang, spécialiste de la littérature ouïghoure, a ainsi passé un an dans un de ces camps et il est mort en août 2020, peu de temps après sa sortie. Tashpolat Tiyip, ancien président de l’université de Xinjiang, a été condamné à la peine capitale en 2018, et on ne sait toujours pas aujourd’hui s’il est mort ou vivant. Des chercheurs se joignent à des associations des Ouïghours en exil pour accuser le gouvernement chinois de génocide, en s’appuyant sur les termes de la convention des Nations unies du 9 décembre 1948. Une situation qui alimente le courant indépendantiste chez les Ouïghours comme chez les Tibétains.

Hong Kong : identité politique en lutte

Si Hong Kong partage les mêmes racines historiques et culturelles que la Chine continentale, la parenthèse coloniale presque centenaire en a fait une terre disposant de tous les ingrédients d’une démocratie, malgré l’absence d’élections directes au suffrage universel. De nombreux habitants de Hong Kong ont espéré que le principe « un pays, deux systèmes » leur garantirait les libertés dont ils jouissaient à l’ère britannique.

Mais la vie commune depuis la rétrocession en 1997, au lieu de rapprocher les deux parties, semble surtout révéler ce qui les sépare. Depuis vingt-trois ans, leur sentiment d’appartenance à la grande Chine dans l’ascendance de sa puissance, qui a atteint son plus haut niveau en 2008, s’érode. Le lien historique et culturel ne suffit plus. Le refus immuable de Pékin de réhabiliter le mouvement pro-démocratie des étudiants chinois en 1989 nourrit un vif sentiment de déception chez les Hongkongais qui commémorent les victimes du massacre tous les ans depuis plus de trente ans. L’ingérence de plus en plus prononcée de Pékin dans les affaires de Hong Kong et l’érosion de leur espace de liberté, sans compter l’intransigeance face à leur revendication d’élections libres, font vaciller leur confiance dans le principe « un pays, deux systèmes ». En 2015, l’année qui a suivi l’échec du « mouvement des parapluies » qui réclamait des élections directes au suffrage universel, des associations étudiantes ont décidé, pour la première fois, de ne pas participer à la commémoration rituelle du massacre de 1989, voulant désormais se dissocier du sort du continent. Dans les sondages, le pourcentage des Hongkongais s’identifiant comme uniquement Chinois plonge année après année, tandis que celui de ceux qui s’affirment avant tout comme Hongkongais monte.

L’autodétermination est ainsi devenue le principal slogan du mouvement des parapluies en 2014. Si la position indépendantiste reste encore très minoritaire, la naissance de réflexions sur une « nation hongkongaise » chez les étudiants révèle la tentation de s’éloigner du modèle chinois. Pour Brian Leung Kai-ping, étudiant militant, le discours sur la « nation chinoise » soudée par le lien du sang n’est qu’un outil de contrôle politique : les Hongkongais forment « un peuple disposant d’une identité politique différente, sur la base des valeur comme la démocratie, la liberté et les droits de l’homme ».

D’un mouvement à l’autre, la jeunesse voit de plus en plus sa ville comme une entité à part et en opposition à la Chine autoritaire. Si Xi Jinping tente de mobiliser pour un renouveau de la nation chinoise, les manifestants de Hong Kong n’ont pas hésité en 2019 à chanter « Libérez Hong Kong, révolution de notre temps » et « Gloire à Hong Kong » à l’unisson. Le jeune leader pro-démocrate Joshua Wong considère désormais clairement la ville en première ligne d’une confrontation entre la dictature et la démocratie dans le monde contemporain.

Taïwan, la démocratie comme carte d’identité

Si Pékin continue à considérer Taïwan comme une partie intégrante de la nation chinoise, Taïwan est une entité politique indépendante de fait depuis plus de soixante-dix ans, disposant d’un gouvernement issu du suffrage universel, d’une Constitution et d’une armée, sous le nom officiel de République de Chine. L’île est certes marquée par une identité chinoise, mais celle-ci date essentiellement des années 1950 et a dû s’adapter à la réalité d’une diversité culturelle indigène, tout en s’engageant sur le chemin sinueux de la démocratisation.

En effet, la mise en place des élections libres au milieu des années 1990 et l’alternance politique ont changé profondément la donne, en contribuant à un développement autonome. Si le Parti nationaliste KMT est toujours prompt à soutenir le rapprochement avec le continent et que le Parti démocrate progressiste PDP pousse à une dé-sinisation culturelle, il n’empêche que la règle démocratique oblige les deux principaux partis à modérer leur discours pour être en phase avec une société en évolution. Soixante-dix ans plus tard, l’identification chinoise ne suscite plus la même ferveur. Le mot « Chine » est désormais de plus en plus utilisé pour désigner spécifiquement « le continent », tandis que Taïwan désigne l’île, et la population s’affirme plus volontiers comme taïwanaise que comme chinoise.

La société taïwanaise, qui a aboli la peine de mort, a officialisé le mariage du même sexe et dispose d’un système démocratique, se reconnaît difficilement dans le projet de société promu sous Xi Jinping. Les pressions économiques et militaires, les efforts pour isoler Taïwan sur la scène internationale et l’hostilité à l’encontre du gouvernement de Tsai Ing-wen, considérée comme indépendantiste, ne font qu’exacerber un sentiment de rejet vis-à-vis de la grande Chine. La brutalité dont Pékin a fait preuve pour faire taire les revendications démocratiques à Hong Kong discrédite encore davantage le principe « un pays, deux systèmes » que Xi Jinping a explicitement proposé à Taïwan. La présidente Tsai Ing-wen a ainsi déclaré en 2019 que « tout montre qu’il est impossible de faire cohabiter une dictature et une démocratie ». L’électrochoc provoqué par les événements à Hong Kong a par conséquent contribué, lors des élections en janvier 2020, à la victoire écrasante de Tsai, qui a joué à fond la carte de la démocratie contre l’adversité d’un pouvoir autoritaire.

Si le succès de la gestion de l’épidémie de Covid 19 fait apparaître Taïwan aux yeux de certains comme un modèle chinois alternatif, Tsai Ing-wen, lors du discours d’investiture pour son deuxième mandat, le 20 mai 2020, va jusqu’à parler d’une « communauté de destin taïwanaise », formée de vingt-trois millions de Taïwanais, dont certains observateurs, chiffres d’enquête à l’appui, confirment la formation.


La vision de Xi Jinping de la nation chinoise est davantage une organisation verticale, orchestrée par un pouvoir hautement centralisé, qu’un projet de société ouverte permettant l’épanouissement de chacun. Si elle est définie comme une communauté de destin, l’obsession du Parti pour sa propre survie pousse le régime à réprimer toute aspiration divergente au nom de l’unité et mine par conséquent la cohésion en son sein.

  • 1.Les auteures remercient Éliette Soulier pour sa relecture.
  • 2.En octobre 2020, le Musée d’histoire de Nantes a décidé, après trois ans de travail de préparation, d’annuler une exposition sur l’empire mongol et Gengis Khan, en raison des conditions jugées inacceptables imposées par les autorités chinoises. En effet, la Chine n’acceptait de prêter des pièces à exposer que si des termes tels que « Empire mongol » et « Gengis Khan » n’apparaissaient pas dans le texte de présentation. Or, pour le directeur du musée nantais, ces termes sont au cœur de l’exposition.

Judith Geng

Journaliste à la rédaction en langue chinoise de RFI.

Mei Yang

Journaliste.

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