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Entre néolibéralisme et populisme. Les élections présidentielles vues du Royaume-Uni

Le résultat de l’élection présidentielle française affectera la qualité des relations franco-britanniques, ainsi que l’équilibre des pouvoirs idéologiques en Europe.

Depuis 2016, les Britanniques se sont repliés sur eux-mêmes. Cela tient très largement à l’effet économique et politique du Brexit. Concernant la souveraineté de l’Irlande du Nord et de l’Écosse, ou le choc économique du divorce final avec l’Europe en janvier 2021, le Brexit a poussé les Britanniques à se poser des questions difficiles sur leur valeurs communes et l’organisation de leur vie politique.

Néanmoins, dans la tourmente, le spectre de l’Europe a resurgi. Les brexiteers les plus ardents avaient promis à leur électorat que le Royaume-Uni aurait une orientation résolument internationale dans l’après-Brexit, mais les réalités géopolitiques ont eu raison des utopies souverainistes. Le gouvernement britannique s’est retrouvé confronté à des désaccords avec son homologue français sur les quotas de pêche, la gestion de l’immigration clandestine ou encore les restrictions sanitaires pendant la pandémie. Et la récente invasion de l’Ukraine n’a fait que renforcer la présence de l’Europe : le Royaume-Uni reste, malgré tout, un pays européen.

On aurait pu croire que cette nouvelle prise de conscience de leur destin européen aurait poussé les Britanniques à montrer un intérêt plus fort pour l’élection présidentielle française. Après tout, l’identité du président français pourrait jouer un rôle clé dans les négociations complexes qui vont décider de la relation future entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Mais force est de constater que l’élection présidentielle française ne suscite que peu d’intérêt outre-Manche. La corruption du gouvernement de Boris Johnson – englué dans de multiples scandales – semble bien plus urgente pour un public britannique qui a beaucoup souffert pendant la pandémie.

Laissant alors de côté un public britannique désintéressé, quels sont les enjeux de cette élection pour le Royaume-Uni ? On peut en identifier trois.

Le premier est lié à la détérioration des relations franco-britanniques. Les nombreux désaccords ont contribué à une perte de confiance importante entre les deux gouvernements. Depuis plusieurs années maintenant, Boris Johnson joue sur une rhétorique francophobe qui plait aux tabloïds britanniques. De son côté, Emmanuel Macron s’est longtemps présenté comme le chef d’État le plus à même de contrer « l’hypocrisie » de Londres dans ses négociations avec l’Union européenne. La guerre en Ukraine pourrait amorcer un rapprochement temporaire, mais il est à craindre que la mésentente soit à nouveau à l’ordre du jour dans quelques mois.

Un changement de président pourrait-il améliorer la situation ? Cette option semble peu probable. Les candidats des extrêmes sont naturellement anglophobes, avec une vision du Royaume-Uni comme cheval de Troie d’une conquête « anglo-saxonne » de l’Europe, et même Macron n’a pas beaucoup de raisons d’infléchir son discours « dur » à l’égard des Britanniques. À terme, une telle hostilité pourrait toutefois entraîner des conséquences graves. Environ 5 % des exportations de la France se font vers le Royaume-Uni et la même part des exportations du Royaume-Uni se font vers la France. De plus, chaque pays accueille des centaines de milliers de ressortissants du pays voisin. Il suffit d’observer les effets de la polémique autour du vaccin AstraZeneca pour apprécier à quel point une guerre rhétorique entre la France et le Royaume-Uni pourrait avoir des répercussions sur la vie quotidienne.

Au-delà des relations franco-britanniques, cette élection présidentielle soulève un deuxième enjeu de taille : celui de l’avenir du populisme en Europe. En effet, c’est le Royaume-Uni qui a annoncé l’arrivée de la vague populiste avec la victoire du mouvement pour le Brexit dans le référendum de 2016, même avant celle, inattendue, de Donald Trump aux États-Unis. En ayant élu Boris Johnson, un des chantres du Brexit, en 2019, les Britanniques ont pleinement assumé le virage populiste entamé en 2016.

Mais, à l’échelle européenne, ce ne sont pas les Britanniques qui sont à la pointe du mouvement populiste ; au contraire, c’est la France qui, de longue date, joue ce rôle. Le Rassemblement national – jadis le Front national – peut se vanter d’être le parti d’extrême droite le plus ancien d’Europe, chose d’autant plus étonnante que les partis politiques sont traditionnellement faibles en France. L’électorat français a été confronté au « populisme » d’extrême droite dès les années 1980. Au moment du choc de l’élection présidentielle de 2002, la France était plus ou moins seule en Europe (à part l’Autriche) à vivre avec un parti d’extrême droite électoralement puissant.

En 2022, la France reste un lieu privilégié du populisme ; l’émergence du candidat Éric Zemmour en est la preuve. Sa nouvelle synthèse de l’extrême droite est plus libérale et traditionnelle que celle de Marine Le Pen, mais elle renforce néanmoins un populisme de droite qui est devenu transnational. De plus, Zemmour fait beaucoup parler de lui, et sa présence dans les médias britanniques dépasse de loin sa position dans les sondages. En fonction de son résultat au premier tour, le « modèle Zemmour » pourrait infléchir la stratégie récente du Parti conservateur britannique, qui a tenté d’imiter le Front national en s’appuyant sur le vote des classes populaires. En revanche, si le vote Zemmour s’effondre dans les semaines à venir et qu’aucun des deux candidats d’extrême droite n’arrive au second tour, on pourrait assister à un recul des discours populistes des deux côtés de la Manche.

Le troisième enjeu, non moins important, tient à l’avenir du néolibéralisme en Europe. Durant la pandémie, les gouvernements européens sont intervenus dans la gestion de l’économie de façon exceptionnelle et unanime. Le « quoi qu’il en coûte » de Macron a fini par beaucoup ressembler aux interventions du très libéral ministre de l’Économie britannique Rishi Sunak, au Royaume-Uni. Même au-delà de la pandémie, la gestion de la crise énergétique actuelle et l’avancée de la transition écologique devront toutes deux être menées par des États interventionnistes. Après plusieurs décennies de discours anti-État en Europe, l’État fort est de nouveau d’actualité.

Si Macron est réélu, il ne sera donc pas le libéral de 2017. Au contraire – et particulièrement dans le contexte d’une guerre en Europe –, Macron deviendra le « protecteur ». Cela pourrait avoir des effets secondaires au Royaume-Uni, un pays que les historiens considèrent avoir été un pionnier des politiques néolibérales en Europe. On voit déjà se dessiner une bataille, au sein du Parti conservateur, entre les partisans d’un populisme interventionniste et ceux d’une économie ouverte suivant un modèle néolibéral classique. À gauche, le Parti travailliste est lui aussi tiraillé entre un modèle économique social-démocrate soft et l’étatisme de la gauche de la gauche, un temps incarné par Jeremy Corbyn, qui a connu un succès mesuré aux élections législatives en 2017.

Une seule élection peut-elle décider du sort du néolibéralisme en Europe ? Bien sûr que non. Mais l’équilibre des pouvoirs idéologiques pendant et après l’élection présidentielle en France pourrait nous indiquer les tendances des prochaines années – et cela aussi bien au Royaume-Uni qu’en France. Avec de nombreuses perturbations géopolitiques à prévoir, l’avenir de la politique européenne reste très flou, mais il est clair que le cycle électoral en France en 2022 pourrait s’avérer bien plus important que ce que les Britanniques veulent croire.