
Sally Mann, l’écriture photographique du tragique
Sally Mann, « Mille et un passages », exposition au Jeu de Paume à Paris, jusqu’au 22 septembre 2019
Le bonheur n’est pas simplement fragile, quelque chose en amont de ce bonheur en fait douter ou le trouble.
Gisèle Freund, Robert Doisneau ou Irving Penn ont témoigné par leurs portraits d’écrivains de la fascination que ces derniers peuvent exercer sur les photographes. L’Américaine Sally Mann, à qui le Jeu de Paume consacre une très belle exposition[1], n’a pas fait qu’admirer les auteurs ; elle a puisé dans leurs œuvres l’âme de son travail, s’éloignant considérablement de « l’instant décisif » cher à Henri Cartier-Bresson.
La fiction pour modèle
Pour elle, la photographie n’est pas l’art de capturer une étincelle furtive que seul l’œil d’un « regardeur » en alerte peut distinguer et arrêter dans le cadre du viseur, pour la proposer ensuite au spectateur par le tirage, l’impression ou la projection. C’est bien davantage – comme la littérature ou la poésie – l’élaboration d’une fiction qui va rendre présent un questionnement, une émotion, une mémoire.
Il faut entendre le mot de fiction dans son sens littéral : ce que l’on façonne, ce que l’on modèle avec une intention déterminée. On pourrait ainsi dire que, dans le récit de la Gen