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Agrigente, 1954. Collection privée/Courtesy Applicat-Prazan, Paris © ADAGP, Paris, 2018, photo : © Comité Nicolas de Staël
Agrigente, 1954. Collection privée/Courtesy Applicat-Prazan, Paris © ADAGP, Paris, 2018, photo : © Comité Nicolas de Staël
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Coups reçus. Nicolas de Staël en Provence

septembre 2018

Une exposition au Centre d’art Caumont (Aix-en-Provence, jusqu’au 23 septembre) présente des œuvres peintes dans le Midi entre juillet 1953 et juin 1954. C’est pour Nicolas de Staël une période prolifique : des « paysages », des villages, des routes, des natures mortes, des fleurs, quelques cavaliers, des portraits et « des nus dans les nuages », qui sont en quelque sorte tous des paysages et, de toute façon, le peintre ne croyait pas aux titres. Il confie à son nouveau galeriste new-yorkais Paul Rosenberg, en janvier 1954 : « J’ai le sentiment d’avoir été jusqu’au bout de mes forces. »

La période couverte correspond également au moment où Nicolas de Staël fait la rencontre de Jeanne Polge, dont il tombe éperdument amoureux, en même temps qu’il s’éprend de la Provence : « Quelle fille, la terre en tremble d’émoi, quelle cadence unique dans l’ordre souverain[1]. » Il l’aime « à en crever », confie-t-il à son ami poète en novembre de la même année.

La Provence, c’est d’abord une lumière qu’il s’agit de « saisir ou pas, c’est tout ». Mais la Provence, c’est encore l’après-coup d’un voyage en Sicile à l’été 1953. « Je roule de France en Sicile, de Sicile en Italie, en regardant beaucoup de temples, de ruines ou pas, des kilomètres carrés de mosaïques et à part la nage dans toutes les mers, je ne fais rien, sinon quelques croquis. » Les peintures ne viendront que plus tard, une fois la solitude retrouvée dans les ateliers de Lagnes puis de Ménerbes, où il vient de faire l’acquisition du Castelet. Les « croquis » réalisés en Sicile au stylo feutre sur papier révèlent des contours, qui rappellent le filet de plomb des maîtres verriers ; ces traits hâtifs deviennent en Provence les lignes où se rejoignent les aplats de couleur sur la toile, juxtaposés comme des mosaïques. Nicolas de Staël écrit au critique d’art Roger van Gindertael, en avril 1950 : « On ne sait jamais ce qu’on voit ou croit voir, on peint à mille vibrations le coup reçu, à recevoir, semblable, différent. » Les coups reçus en Sicile – et non ce qu’il croyait y voir – sont rendus en Provence quand ils deviennent peintures.

L’exilé russe passait sa vie à s’échapper. Déjà à vingt-trois ans, il pressentait que sa vie serait « un continuel voyage sur une mer incertaine ». En novembre 1953, il écrit encore à sa femme Françoise, enceinte de leur troisième enfant : « Je suis ici mais au fond je ne suis nulle part et je crains d’être où que ce soit. » A son galeriste parisien Jacques Dubourg, il écrit qu’il se souhaite d’être « toujours dans une période de transition ». Mais voilà que bientôt « la gamme noire, noire, se remet à chanter sur de grands tableaux ». La peinture de Nicolas de Staël est en effet « fragile comme l’amour ».

 

[1] Lettre à René Char, le 20 juillet 1953, dans Nicolas de Staël, Lettres, Paris, Le bruit du temps, 2016, p. 457. La plupart des citations sont tirées du catalogue de l’exposition, placé sous la dir. de Jérôme Gille, Paris, Hazan, 2018.