
Nouvelles images politiques
Entre attrait pour les hommes de pouvoir et nouvelle focalisation sur les individus, notamment les femmes, les documentaires politiques proposent de nouvelles images. Les citoyens peuvent-ils s'en saisir ?
Que les représentants politiques cherchent à contrôler leur image, même pour la postérité, est un trope évident : Une partie de campagne (Raymond Depardon, 1974) était déjà une commande de son sujet, Valéry Giscard d’Estaing, qui en bloqua longtemps la sortie. Il est plus intéressant de constater comment, ces derniers mois, plusieurs productions ont proposé de nouvelles formes de récits sur la politique, à la fois sur certaines de ses figures majeures et sur des sujets souvent ignorés qui, pourtant, la travaillent.
Le documentaire Gorbatchev en aparté (Vitaly Mansky, 2020), diffusé en septembre sur Arte, contrecarre les attentes des spectateurs qui espéraient des confidences ou quelques bonnes phrases de la part de l’ancien chef d’État, en se concentrant sur la solitude de l’après-pouvoir. Les regards peinent à croire que l’ancien dirigeant soviétique paraisse aujourd’hui si délaissé dans son pays, peu visité ou consulté, obligé de sous-louer les locaux de sa fondation pour garder ses bureaux à Moscou. Le fil rouge implicite et inavoué du film, Vladimir Poutine, existe manifestement par le désintérêt et le mépris qu’il porte à son prédécesseur, qui se garde bien d’en dire trop de mal. Dans une scène-clé, alors que Vitaly Mansky se plaint de l’absence de démocratie en Russie aujourd’hui, Gorbatchev lui répond, impassible : « Mais tu fais des films pourtant, non ? » Une vision de la liberté, qui existerait tant que certaines formes sont maintenues dans la répression des auteurs, qui ne prône pas le relativisme, mais invite les spectateurs occidentaux à comprendre la vision de leur auteur et de la société dans laquelle il vit. Un des messages de Gorbatchev et Mansky, même inavoué, est bien de montrer que tout peut reposer sur un seul homme tant qu’il détient le pouvoir, mais que la suite appartient au peuple.

Deuxième documentaire automnal sur un ancien dirigeant, bien plus récent cependant, la troisième partie d’Édouard, mon pote de droite (Laurent Cibien, 2021) se distingue parmi d’autres documentaires sur la politique française par un contrat de transparence entre son sujet et le réalisateur : Édouard Philippe a donné accès pendant tout son mandat de Premier ministre à son ami documentariste, en général pour un entretien par semaine, avec toute liberté sur les sujets abordables. Des entrevues filmées par un dispositif par ailleurs entièrement visible par le spectateur, la caméra, le trépied, la perche et les éclairages se reflétant, avec le cinéaste arborant son casque en posant ses questions, dans les miroirs des bureaux de Matignon. Or il apparaît vite que cette mise en scène enferme Laurent Cibien dans ce que son ancien ami veut bien lui accorder : le Premier ministre s’exprime sans éléments de langage, mais avec rhétorique et à son avantage. Non pas que le film devienne un produit au service d’Édouard Philippe : il reste une plongée inédite dans la fonction de numéro 2 de l’exécutif en France, ainsi qu’une des premières sources directes sur le vécu et les réactions du pouvoir pendant la pandémie de Covid-19. Mais l’ouverture et la confiance accordées par un homme politique ne suffisent pas à permettre un point de vue critique, si tel était cependant l’intention du réalisateur, en l’absence d’un montage plus subtil ou d’une plus grande capacité de contradiction, face à un Premier ministre au pragmatisme et à la froideur d’analyse poussés, alliés à une efficace concision démonstrative, et qui avoue sans mot dire ses intentions pour 2027 dans l’épilogue.

Debout les femmes ! © Gilles Perret - Les 400 clous
Debout les femmes ! (François Ruffin et Gilles Perret, 2021) débute justement par une séquence assez regrettable où son héros, le député de La France insoumise, coréalisateur du film, égratigne par extraits télévisuels interposés Bruno Bonnel, le député de La République en marche avec qui il va présider une mission d’information sur les métiers du lien. Le discours, partisan par l’offensive et l’invective, n’étonne pas de la part de Ruffin, qui l’efface heureusement dans une courte scène où Bonnel explique avoir accepté ce sujet pour des raisons biographiques. Pourtant, son film est le plus réussi lorsque celui-ci s’efface, laisse Gilles Perret filmer à ses côtés les femmes auxiliaires de vie, infirmières à domicile, assistantes d’éducation, qu’il rencontre dans le cadre de ses fonctions de parlementaire. Ainsi se créent de nouvelles images politiques : le spectateur sent que ces personnes s’ouvrent parce qu’un représentant national s’intéresse à elles, qu’elles savent que leurs propos se retrouveront dans un rapport et peut-être une loi, débattus à l’Assemblée nationale. La mission d’enquête et de réflexion, au cœur des travaux des deux chambres en France, trouve un relais dans un documentaire à la forme moderne, sur un impensé politique, les salaires et statuts insuffisants de nombreux métiers essentiels.
Ruffin compte parmi les députés que le dessinateur Kokopello choisit de suivre dans sa bande dessinée d’enquête sur l’Assemblée nationale, Palais Bourbon (Dargaud, 2021), comique et pédagogique par le point de vue néophyte adopté par son auteur. Un écueil, involontaire mais qui se devine à la lecture de l’ouvrage, est que la Ve République a tellement magnifié le fait majoritaire et réduit le rôle du Parlement qu’il faut sélectionner quelques députés atypiques pour trouver de bons personnages et des analyses iconoclastes dans la chambre basse : des élus insoumis, Elsa Faucillon et Sébastien Jumel du Parti communiste, Cédric Villani, Jean Lassalle ou encore Charles de Courson, élu de Les Républicains spécialiste de finances publiques. Autant de bons sujets pour un dessinateur, dont l’album est une plongée curieuse et critique dans le Palais Bourbon, et une des premières études sur le changement, affiché et inabouti, de la majorité arrivée sur ses bancs en juin 2017.

À la vie © Tandem
Nouvelles images politiques et volonté de faire découvrir au public un sujet complexe et négligé se retrouvent dans À la vie (Aude Pépin, 2021), qui suit la sage-femme libérale Chantal Birman dans sa dernière année d’exercice. La salle découvre avec intérêt les consultations de jeunes mères quelques jours après leur accouchement, les conversations avec la stagiaire de l’héroïne où les deux femmes évoquent le tabou du suicide des mères dans l’année suivant leur accouchement, ou les plans montrant les cicatrices des césariennes et le retrait des agrafes, rarement montrés au cinéma. Cette centration du récit autour d’enjeux féminins, car les pères interviennent peu et Chantal Birman reconnaît dans plusieurs entretiens que les hommes ne peuvent que difficilement comprendre la grossesse, s’avère très actuelle. Un des sens du documentaires est précisément la transmission entre la génération du féminisme de deuxième vague (années 1960 et 1970) et celle de la troisième vague, contemporaine et passant par une reconsidération du corps et de la capacité d’agir des femmes.
Entre attrait constant pour les hommes de pouvoir et nouvelle focalisation sur les individus, et plus particulièrement les femmes, à la base des démocraties et des États-providence contemporains, les documentaires politiques et les auteurs de bandes dessinées de non-fiction cherchent et proposent de nouvelles images. Elles peuvent être immersives ou ludiques, critiques ou réalisées avec l’aide de leurs sujets. Deviennent-elles des outils pour les spectateurs les abordant en citoyens et en critiques ? Leur libre circulation, leurs présentations dans de nombreuses salles, leurs soutiens par les télévisions publiques et les maisons d’édition, sont des signes d’une démocratie pluraliste effective.