
Le Portugal et l’incertitude européenne
Les élections du Parlement européen présentent toujours une difficulté – leur peu de conséquence. Au Portugal, en 2019, les élections législatives auront lieu en octobre. La proximité des deux échéances donne donc cette année une importance accrue au scrutin européen. Il n’en reste pas moins que la représentation des citoyens européens ne semble pas suffisante telle qu’elle existe. Elle devrait être assurée par deux Chambres – le Parlement, avec une représentation proportionnelle des États, et un Sénat où tous les États auraient une participation égale. La double légitimité des citoyens et des États serait ainsi assurée. Cela étant, le discours sur le risque de désintégration de l’Union européenne reste minoritaire au Portugal, car la modernisation récente du pays et de la péninsule ibérique doit beaucoup au soutien européen. Même si l’enthousiasme pour l’Europe est aujourd’hui moins grand que par le passé, il reste une conscience claire du rôle fondamental de l’intégration européenne dans la consolidation d’une société ouverte et démocratique. Face au protectionnisme américain de Trump et aux incertitudes du Brexit, cette conscience européenne est considérée, de plus en plus, comme une question de survie. Il faut donc renforcer le lien des citoyens à l’Union européenne sans oublier la nation.
L’adhésion à l’euro
et la rigueur budgétaire
Les vingt dernières années de la vie portugaise ont été marquées par l’intégration européenne, et notamment l’entrée dans l’Union économique et monétaire. Des étapes préliminaires avaient été franchies sous le gouvernement de Cavaco Silva (1985-1995) et la présidence de la République de Mário Soares (1986-1996). On avait alors assisté à la consolidation de la Constitution de la République, mise en cohérence avec les traités européens, notamment par la reconnaissance, dans les révisions constitutionnelles de 1982 et de 1989, de la liberté d’initiative économique et du principe de concurrence, dans un contexte d’harmonisation économique et sociale. La Constitution programmatique a alors évolué dans le sens d’un État de droit démocratique et social, et le maintien symbolique de références historiques aux objectifs de la révolution des Œillets, dans le préambule de la loi fondamentale, n’a pas empêché l’alternance politique. En 1995, avec la victoire électorale, sans majorité parlementaire, du socialiste António Guterres (répétée en 1999), l’option européenne a prévalu. Les conditions pour l’adhésion à l’euro ont été remplies, en assurant le respect de tous les critères exigés par le traité de Maastricht : stabilité des prix, contrôle de la dette publique et du déficit budgétaire. La défaite des socialistes, aux élections locales de 2001, a entraîné la démission de Guterres et la victoire de la droite. José Manuel Barroso, du Parti social-démocrate (Psd), est alors devenu Premier ministre, gouvernant avec le Parti populaire (Cds/Pp) de Paulo Portas (2002). Lorsque Barroso fut élu président de la Commission européenne, en 2004, il quitta le gouvernement et fut remplacé par le nouveau chef du Psd, Pedro Santana Lopes. Différentes contestations, portant sur les conditions de sa nomination et son exercice du pouvoir, conduisirent alors le président de la République Jorge Sampaio à convoquer en 2005 des législatives anticipées. Celles-ci furent remportées par José Sócrates (Parti socialiste – Ps), nommé Premier ministre avec une majorité absolue au Parlement. Après une première période dans laquelle les résultats économiques semblaient plutôt positifs, la crise financière internationale précipita un « plan de sauvetage » et l’intervention de la « troïka » (Fmi, Bce et Commission européenne), aussi bien que la chute du gouvernement. Des élections législatives furent convoquées en 2011, portant au pouvoir un gouvernement de centre-droit présidé par Pedro Passos Coelho (Psd), allié avec le Cds de Paulo Portas. Ce dernier fut chargé d’appliquer la politique de rigueur, en lien avec la « troïka ».
Les élections de 2015
ont été marquées
par les effets politiques
et sociaux de la crise.
La législature 2011-2015 a vu la concrétisation des réformes structurelles : limitation des dépenses publiques, mesures d’efficience fiscale et de réduction de la dette publique. Et les élections de 2015 ont été marquées, en retour, par les effets politiques et sociaux de la crise. Comme en République d’Irlande, les mesures ont eu des résultats positifs dans l’ensemble, et la sortie du plan de sauvetage s’est faite sans garanties additionnelles. La réaction des marchés a d’ailleurs été très favorable, mais un changement politique paraissait nécessaire. Aux élections de 2015, le Psd de Passos Coelho est arrivé en tête, sans majorité, et le Ps à la seconde place. En l’absence d’une coalition suffisante pour le centre-droit, le président de la République a invité António Costa, secrétaire général du Ps, à former un gouvernement, ce qui a été possible grâce à un accord parlementaire avec le Parti communiste et le Bloc de gauche. C’est une solution inédite, souvent désignée par l’expression populaire de « geringonça » : un appareil étrange, qui malgré tout fonctionne…Contre les prévisions plus pessimistes, le gouvernement a réussi à se maintenir pendant toute la législature (2015-2019), avec un bilan positif en termes de croissance économique, de déficit budgétaire et de stabilisation de la dette publique. Le ministre des Finances portugais a même été nommé président du Conseil des ministres des Finances de l’Euro, ce qui a été vu comme une reconnaissance de l’efficacité de cette solution politique.
Les défis à venir
Ainsi, dans les vingt dernières années, la consolidation de la démocratie au Portugal a réussi grâce à l’intégration européenne, qui a permis un développement significatif et une convergence économique et sociale. Les questions européennes qui retiennent désormais l’attention des Portugais sont naturellement le Brexit, la crise Est-Ouest sur les droits fondamentaux, la question de la dette et la crise Nord-Sud. Pour un pays appartenant aussi bien à l’espace atlantique qu’à la Méditerranée, le Brexit est une sérieuse préoccupation. Les relations politiques et économiques du Portugal et de l’Angleterre sont anciennes, de la participation à la fondation de l’Aele-Afta, en 1959, jusqu’aux accords avec la Communauté européenne – pour ne rien dire du plus ancien traité d’amitié et de paix qui date du xive siècle… La sortie du Royaume-Uni de l’UE représente un affaiblissement du front atlantique, occidental et maritime dans son ensemble, ce qui affecte la position portugaise.
Le Portugal, exempt pour l’heure de mouvement populiste, raciste
et xénophobe, serait-il l’exception européenne ?
La crise Est-Ouest sur les droits fondamentaux est aussi sensible au Portugal, où l’opinion publique a suivi les transitions démocratiques de près, en misant sur la possibilité d’une évolution semblable à celle des pays ibériques. Malheureusement, cette perspective n’a pas été suivie. Il faut ajouter que la situation géographique du Portugal protège le pays de la pression migratoire – et l’attitude de la population en général est traditionnellement hospitalière. Dans le contexte d’une immigration diversifiée, mais raisonnablement intégrée, le débat porte surtout sur l’inclusion des populations immigrées dans le système d’éducation ou le Service national de santé. Le Portugal, exempt pour l’heure de mouvement populiste, raciste et xénophobe, serait-il l’exception européenne ? Il convient de rester prudent, car il n’existe pas de vaccin contre ces phénomènes. L’europhobie est limitée, car la majorité de la population reconnaît l’importance du projet européen comme facteur de paix, de développement durable et de diversité culturelle. Quant au populisme radical, il semble pour l’instant contenu par un gouvernement suffisamment ancré dans une gauche institutionnelle stable, un président de la République, Marcelo Rebelo de Sousa, très proche des gens et une communauté immigrée raisonnablement intégrée (Africains de langue portugaise, notamment musulmans, Brésiliens, Européens de l’Est bien acceptés…).
Le pronostic pour les élections européennes va donc dans le sens d’une certaine stabilité des choix : continuité de l’abstention, légère progression des voix europhobes, et, dans l’électorat plus jeune, la défense de la cause environnementale et d’une nouvelle perspective européenne, moins bureaucratique, plus sociale et proche des personnes. Pour citer Eduardo Lourenço : « L’Europe comme culture ne peut être qu’un espace d’intercommunication où se recycle en permanence ce qu’il y a eu et ce qu’il y a de plus exigeant, de plus énigmatique, de plus inventif dans une culture européenne conçue comme culture des différences, toujours à la recherche de ce qui pourrait s’appeler “sagesse” 1. »
- 1. Eduardo Lourenço, Une vie écrite, Paris, Gallimard, 2015, p. 58.