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La cheffe de l’exécutif Carrie Lam (au centre) en conférence de presse avec la Secrétaire de la Justice Teresa Cheng (à gauche) et le Secrétaire à la Sécurité John Lee Ka-chiu (à droite) le 10 juin 2019. | Wikimédia
La cheffe de l’exécutif Carrie Lam (au centre) en conférence de presse avec la Secrétaire de la Justice Teresa Cheng (à gauche) et le Secrétaire à la Sécurité John Lee Ka-chiu (à droite) le 10 juin 2019. | Wikimédia
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Une victoire à Hong Kong, et après  ?

Malgré une victoire incontestable des candidats pro-démocratie à Hong Kong, de nombreuses incertitudes subsistent sur l’évolution du mouvement de contestation.

Alors que les autorités de Pékin et le gouvernement hongkongais pro-Pékin espéraient un essoufflement du mouvement de protestation après six mois de crise avec leur lot de violences, les électeurs hongkongais ont donné une victoire écrasante aux candidats pro-démocratie lors du scrutin du 24 novembre visant à élire les membres des nouveaux conseils de district. Sur un total de 452 sièges ouverts au vote, les candidats pro-démocratie en ont remporté 388 et contrôlent désormais 17 des 18 conseils de district, qui jusque-là ont toujours été dominés par le camp pro-gouvernemental, donc pro-Pékin. L’inscription de près de 400 000 nouveaux électeurs et un taux de participation historique aux élections, à plus de 71 %, transforment ces élections a priori locales en un référendum : elles apportent un démenti au discours du gouvernement, selon lequel une majorité silencieuse désapprouvait le mouvement de protestation. En outre, cette victoire sans appel va bien au-delà de sa valeur référendaire dans le bras de fer entre le gouvernement de Carrie Lam et les manifestants, vu le système électoral actuel à Hong Kong. En effet, le camp pro-­démocratie y voit un espoir de relancer la réforme politique stoppée en 2014 par Pékin. Mais de nombreuses incertitudes entourent l’impact réel de ces élections sur la sortie d’une crise qui dure depuis six mois, ainsi que sur le choix du prochain chef de l’exécutif en 2022.

Le poids relatif mais réel des conseils de district

Les conseils de district sont avant tout des organes de base, chargés de la gestion des affaires des quartiers. Leurs membres n’ont aucun pouvoir d’ordre législatif, budgétaire ou fiscal. Leurs élections se déroulaient ainsi traditionnellement à la grande indifférence des électeurs.

Leur poids politique se trouve ailleurs. En effet, 6 sièges du LegCo, le parlement de Hong Kong (qui compte un total de 70 membres), leur sont réservés. Et dans la commission électorale qui est chargée d’élire le futur chef de l’exécutif, 117 sièges leur reviennent sur un total de 1 200 membres, ce qui renforce significativement la représentativité du camp pro-démocratie dans ces deux instances : actuellement au LegCo les pro-gouvernementaux occupent 43 sièges contre 27 sièges pour les pro-démocrates. Quant à la commission élective, les 117 sièges de plus font que le camp pro-démocrate dispose de 467 sièges : un renversement de l’équilibre est désormais possible, d’autant plus que les grands électeurs du monde des affaires semblent déstabilisés par cette crise. Certains y voient ainsi une possibilité de rouvrir les débats sur la réforme politique, stoppée le 31 août 2014 par la résolution de Pékin concernant le mode de scrutin du chef exécutif de cette zone dite d’administration spéciale.

Un début de la fin de la crise actuelle ?

Dans l’immédiat, cette victoire peut-elle dessiner une issue dans la crise actuelle ? Rien n’est moins sûr, car les clés de la porte de sortie sont entre les mains de Pékin. Au lendemain des élections, le ministre des Affaires étrangères Wang Yi, en visite à Tokyo, répondant à une question sur cette victoire, a préféré rappeler que « Hong Kong fait partie de la Chine » et que « toute tentative visant à semer la pagaille à Hong Kong ou à entamer sa prospérité et sa stabilité est vouée à l’échec ». Ce qui ne laisse pas de marge, en tout cas pour l’instant, à une résolution de la crise. Quant à Carrie Lam, malmenée depuis des mois par les manifestations à répétition, elle reste pieds et poings liés par Pékin et ne peut rien faire sans son aval.

On pourrait supposer que Pékin cherche à remplacer Carrie Lam, encore fragilisée politiquement par le résultat des dernières élections, afin de désamorcer la crise. Mais cette solution ne serait que temporaire : quand bien même Pékin ferait nommer un nouveau chef de l’exécutif par la commission électorale actuelle pour terminer le mandat de cinq ans de Carrie Lam, le problème de l’élection du prochain chef exécutif, en 2022, resterait entier.

L’attitude des dirigeants de Hong Kong ne fait que renforcer la détermination des Hongkongais à choisir leur dirigeant par une élection directe et libre.

Car ce qui cristallise la colère de nombreux Hongkongais, et en particulier des jeunes, c’est bien le mode de scrutin imposé pour élire leur dirigeant, ainsi que leurs représentants au Parlement. En effet, la loi fondamentale de Hong Kong prévoit à terme un scrutin direct pour l’élection du chef exécutif et des membres du LegCo. Mais cette perspective est sans cesse repoussée par Pékin malgré des demandes constamment renouvelées des pro-démocrates depuis 2003. Le 31 août 2014, la proposition par Pékin d’une élection au suffrage direct du chef de l’exécutif en 2017, mais avec des candidats présélectionnés par une commission de nomination a priori pro-Pékin, a été considérée par de nombreux Hongkongais comme une mascarade. C’est le sentiment d’une nouvelle trahison de la promesse de suffrage universel qui a déclenché en 2014 le mouvement d’occupation dit «  des parapluies  », qui a duré 79 jours. L’attitude des dirigeants de Hong Kong face à la crise, en 2014 comme en 2019, ne fait que renforcer la détermination des Hongkongais à choisir leur dirigeant par une élection directe et libre. Le suffrage universel direct fait ainsi partie des cinq demandes des manifestants, bien que le mouvement actuel ait été déclenché par un projet de loi sur l’extradition.

L’impasse du modèle «  un pays, deux systèmes  »

Il est néanmoins difficilement concevable que Pékin accepte le principe d’un scrutin ouvert et libre, de peur qu’un candidat qui ne soit pas assez docile n’émerge et lui tienne tête, même si les Hongkongais, pragmatiques, ne semblent pas chercher à entrer en conflit ouvert avec le pouvoir central. Le mouvement de protestation des six derniers mois a concentré la colère contre la cheffe de l’exécutif, alors que les manifestants sont parfaitement conscients que Pékin tire toutes les ficelles. Si le résultat des élections du 24 novembre donne un nouveau souffle au camp pro-­démocratie, les autorités chinoises y voient une menace grandissante de perdre le contrôle de cette ville. La mobilisation récente touche pratiquement tous les milieux, y compris les milieux des affaires, traditionnellement proches de Pékin. Il faut ­s’attendre à ce que Pékin redouble ­d’efforts en vue d’influencer les élections législatives de 2020 ainsi que celles de la commission électorale pour le choix du prochain dirigeant en 2022.

Les élections du 24 novembre ­ressemblent ainsi davantage à une remobilisation de masse qu’à un début de fin de crise, car cette dernière est surtout l’expression des contradictions du fameux modèle «  un pays, deux systèmes  », qui s’avère aujourd’hui bel et bien dans une impasse. Lucides, les Hongkongais sont d’ailleurs à nouveau sortis dans la rue dès le lendemain des élections. Conçu dans les années où la Chine s’ouvrait au monde extérieur, ce modèle ouvrait implicitement une perspective pour que le pays se rapproche à l’avenir du modèle occidental représenté par Hong Kong, bien qu’aucun des dirigeants chinois n’ait envisagé publiquement une telle évolution. Mais l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping fin 2012 a clairement signé le retour à un régime autoritaire, d’où cette tension croissante entre «  un pays  » et «  deux systèmes  », étant donné que les Hongkongais refusent obstinément de renoncer à ce qui a fait leur réussite économique, à savoir une société libre et un système judiciaire indépendant.

Ce modèle a été conçu au départ pour convaincre Taïwan, indépendant de fait depuis 1949 mais dont Pékin réclame toujours la souveraineté, d’une éventuelle réunification. La crise politique dans laquelle s’enfonce Hong Kong depuis le printemps 2019 semble créer un effet contraire. La déclaration de la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen lors de son passage à New York, en juillet 2019, rappelant que la cohabitation est impossible entre une autocratie et une démocratie, a bien souligné les failles de ce modèle d’«  un pays, deux systèmes  ».

Judith Geng

Journaliste à la rédaction en langue chinoise de RFI.

Mei Yang

Journaliste.

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