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Photo : Erik Witsoe
Photo : Erik Witsoe
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Quels films pour 2021 ?

juil./août 2020

Entre films déjà terminés à diffuser sur grand écran, films aux tournages interrompus qui devront reprendre, films en cours de montage auxquels il faudra trouver des créneaux de sortie, et films en cours d’écriture et de financement qui se tourneront en suivant les nouveaux protocoles sanitaires, le risque d’une surcharge des salles de cinéma en 2020 et 2021 se dessine de plus en plus.

En février 2019, alors que les organisateurs de la cérémonie des Oscars envisageaient de ne pas diffuser en direct certaines récompenses «  techniques  », le réalisateur mexicain Alfonso Cuarón écrivit sur Twitter : « Dans l’histoire du cinéma, des chefs-d’œuvre ont existé sans son, sans couleurs, sans histoire, sans acteurs et sans musique. Aucun film n’a jamais existé sans photographie et sans montage. » Tous les techniciens eurent par la suite droit à leur passage à la télévision.

Un constat parallèle est qu’aucun genre cinématographique, en dehors du documentaire et de l’animation, ne peut exister sans tournage. Sans la réunion, sur quelques semaines, de dizaines ou centaines d’acteurs, de figurants, de techniciens ; sans décorateurs, maquilleurs ; sans cantine, autorisation de filmer dans tel monument historique ou blocage de quelques rues le temps de l’action. Les documentaires, cependant, peuvent souvent demander le tournage d’entretiens, face caméra, ou des reportages, des déplacements sur certains sites, dans des villes. Même un documentariste aussi spontané que Frederick Wiseman, dont les équipes de tournage se résument à sa personne, un preneur de son et un chef opérateur, indiquait sur France Culture, le 21 mai dernier, ne pas savoir comment filmer en respectant la distanciation sociale, comment continuer à filmer autant de personnes par jour, comme depuis plus de cinquante ans dans ses films.

Deux enjeux rendent problématiques la reprise des tournages. Le premier est la mise en place d’un protocole sanitaire, à définir entre les sociétés de production, les représentants syndicaux des nombreux métiers de l’audiovisuel et les instances de financement. Le second est l’invention de conventions d’assurance permettant de couvrir le risque de contagion pour tous les participants des tournages, là où seuls les acteurs principaux étaient jusqu’ici couverts par des surprimes en cas de maladie. Malgré un président du Centre national du cinéma, Dominique Boutonnat, ayant travaillé neuf ans dans l’assurance, et un nouveau groupe d’experts sur le cinéma et l’audiovisuel crée par la Fédération française de l’assurance, le septième art et la télévision attendent encore les réponses techniques aux conséquences de l’épidémie actuelle. Certains feuilletons quotidiens reprennent leurs tournages fin mai ou début juin, avec des mesures potentiellement applicables ailleurs : port du masque obligatoire pour les équipes techniques, acteurs devant revêtir leurs costumes et se maquiller eux-mêmes, nettoyage régulier des décors…

Aux difficultés sanitaires de la création répondent les multiples interrogations sur l’exploitation future des films, dans un contexte de fermeture des salles de cinéma jusqu’au 22 juin. Quelles perspectives alors pour les distributeurs et les spectateurs ? Aucune grande production propre à sauver partiellement le box-office n’est prévue cet été, hormis Tenet de Christopher Nolan et la suite de Mulan par Niki Caro le 22 juillet ; le prochain James Bond (Cary Fukunaga) a été repoussé à l’automne, tout comme Top Gun: Maverick (Joseph Kosinski), suite du fameux film d’aviation, qui ne sortira qu’en décembre, à l’instar du Dune de Denis Villeneuve, relecture du classique de science-fiction. Sans oublier le remake de West Side Story par Steven Spielberg. L’épidémie de Covid-19 a interrompu les tournages de Mission: Impossible 7 (Christopher McQuarrie) et de Matrix4 (Lana Wachowski), qui pourraient reprendre en juillet. Impossible de savoir si les spectateurs, y compris les plus assidus, retourneront en salle avec le même enthousiasme que les lecteurs en librairie. L’expérience collective, si elle est autorisée par les nouvelles règles sanitaires, sera sans doute cathartique.

Du côté du cinéma d’auteur, un report massif vers 2021 semble l’une des solutions adoptées par certains producteurs, en particulier Saïd Ben Saïd pour Benedetta (Paul Verhoeven), qui devait figurer au Festival de Cannes 2020 mais ne sortira en salle qu’en mai 2021. Les prochaines œuvres de Bruno Dumont ou de Nadav Lapid pourraient également choisir cette option, cependant que le destin de Tre piani de Nanni Moretti reste en suspens : présentation à Venise, label Cannes 2020 permettant des projections dans plusieurs festivals, attente de l’année prochaine ? The French Dispatch de Wes Anderson sortirait le 14 octobre, ce qui permettrait une lente diffusion dans toutes les salles d’art et d’essai. Une telle solution est envisageable pour Annette (Leos Carax), qui pourrait être présenté à Venise ou à Toronto.

Enfin, parmi les grandes productions françaises pouvant attirer le public, Eiffel (Martin Bourboulon), biographie de l’ingénieur produite par Pathé, est prévu pour le 17 février 2021, cependant que Gaumont présentera Bronx (Olivier Marchal) le 30 septembre prochain, et OSS 117: Alerte rouge en Afrique noire (Nicolas Bedos) en 2021.

Entre films déjà terminés à diffuser sur grand écran, films aux tournages interrompus qui devront reprendre, films en cours de montage auxquels il faudra trouver des créneaux de sortie, et films en cours d’écriture et de financement qui se tourneront en suivant les nouveaux protocoles sanitaires, le risque d’une surcharge des salles de cinéma en 2020 et 2021 se dessine de plus en plus. Dans un contexte où le nombre de films sortant chaque année a augmenté de 16 % entre 2009 et 2018, et où seuls quarante-huit longs-métrages ont réalisé plus d’un million d’entrées en 2019, cette maximalisation de la «  tendance quantitative  » de l’exploitation cinématographique en France risque de laisser beaucoup de spectateurs perdus, et d’œuvres sans public. En particulier si, parmi les solutions retenues pour la réouverture des salles, figuraient le siège vide entre chaque groupe de spectateurs ou une limite de tickets vendus pour chaque séance ; pistes qui pénaliseraient fortement les grands groupes, puisque deux des dix cinémas réalisant le plus de recettes dans le monde sont des Ugc parisiens.

Comme pour l’ensemble de la société et des secteurs économiques, le futur des tournages et des sorties cinéma dépendra des décisions gouvernementales et des protocoles professionnels en cours de négociations. Alors qu’Axa a été condamné le 22 mai à dédommager un restaurateur à la suite de sa perte de chiffre d’affaires pendant le confinement, il paraît impératif qu’une solution ne grevant pas trop les coûts de tournage soit trouvée pour l’assurance de tous, acteurs et techniciens, sur les plateaux, en contexte de pandémie.

Louis Andrieu

Cinéphile, il écrit sur le cinéma, les contenus audiovisuel et les images dans la Revue Esprit depuis 2013.

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