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Position – Que fait la France au Mali ?

La France a élu en François Hollande un président civil, pas un chef de guerre. Il y a quelque chose d’inquiétant dans l’atmosphère martiale qui entoure l’intervention française au Mali et célèbre la métamorphose du président de la République, désormais résolu et botté, comme si la légitimité du suffrage universel ne suffisait pas et qu’il fallait ce baptême du feu pour l’installer pleinement dans son rôle. Cette ambiance belliqueuse favorise, dans certaines déclarations gouvernementales, une malencontreuse rhétorique de « guerre au terrorisme », dont on a vu l’échec complet en Afghanistan et en Irak. L’acclimatation de ce vocabulaire guerrier par le ministre de l’Intérieur, parlant à plusieurs reprises de « l’ennemi de l’intérieur », joue dangereusement avec les peurs et fait sortir le souci légitime de l’ordre public de son registre civil.

Certes, la paralysie européenne rappelle par contraste l’utilité des prérogatives dont jouit le président de la République dans nos institutions, qui lui permettent de déclencher des interventions extérieures rapides. Mais le choix des armes créera des contraintes structurantes lors du retour au pouvoir civil et à la paix. L’approbation accordée au régime algérien sur sa gestion, par la manière forte, de la prise d’otage d’In-Amenas (au moins soixante-sept morts, dont trente-huit parmi les salariés du site gazier) illustre la latitude soudainement laissée aux solutions militaires dans le contexte créé par l’intervention française. Cette concession forcée à la manière sécuritaire algérienne aura des conséquences sur la suite du processus de stabilisation du Mali, qui ne pourra se faire sans le consentement de l’Algérie.

Si la décision de François Hollande apparaît raisonnable, ce n’est pas parce qu’elle lui conférerait une nouvelle stature par l’onction des armes, mais c’est que l’action militaire, pour ce qu’on en sait, semble s’être imposée en dernier recours, par nécessité, après un important travail de consultation en amont avec la communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et à l’Onu. Maintenant que la phase éclair de la reconquête du Nord est passée, et qu’une phase longue et difficile de reconstruction du pays commence, que peut-on dire des objectifs français ?

La volonté affichée de passer rapidement le relais aux acteurs locaux ne doit pas cacher que la transition sera difficile sur le double plan militaire et politique. Le passage de relais militaire, tout d’abord, sera nécessairement lent, tant l’armée malienne semble loin de pouvoir reprendre le contrôle de son territoire, surtout depuis la recrudescence des actions terroristes (voir Gao le 9 février 2013). Et le soutien de la mission internationale de soutien au Mali (Misma), lent à mettre en place, ne sera sans doute pas assez décisif pour permettre un retrait français complet. Sur le plan politique, le passage de relais ne doit pas se limiter au retour au suffrage populaire cet été (le régime actuel est issu du coup d’État du 22 mars 2012, comme le rappellent les autorités américaines) mais doit aussi favoriser un dialogue national pour promouvoir un nouvel équilibre institutionnel entre le nord et le sud du Mali.

Mais la France ne s’est-elle pas d’emblée enfermée dans une ambiguïté fatale en affichant le double objectif de la lutte contre le terrorisme et de la reconstitution de l’intégrité territoriale malienne ? La question se pose, car la diversité des groupes rebelles du Nord Mali installe une contradiction possible entre ces deux affirmations1. D’un côté, en effet, des groupes touareg réunis dans le Mouvement national de libération de l’Azawad (Mlna), qui a déclaré une « indépendance de l’Azawad » le 6 avril 2012, font craindre une sécession. Mais ils peuvent être ouverts à un dialogue national sur l’avenir du pays. D’un autre côté, Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), dont les troupes, aux nationalités diverses, viennent d’horizons différents, n’a pas de visée d’occupation territoriale mais profite de l’espace ouvert et immaîtrisable du désert pour entretenir, notamment par des prises d’otages, le mythe de la déstabilisation mondiale. Entre les deux, Ansar Eddine et le mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) mêlent salafisme et narcotrafic, économie mafieuse et défense de la charia, récupération des revendications nationales touareg et surenchère groupusculaire. Reconquérir militairement le Nord et réinstaller la souveraineté malienne n’empêcheront pas Aqmi de s’échapper dans les montagnes. Et démanteler les trafics des groupes terroristes ne répondra pas à la question politique touareg. Mais le quiproquo n’est pas inévitable et laisser le pays s’effondrer n’aurait rendu que plus insoluble encore l’équation générale. Reconnaître le besoin d’un processus politique incluant la question touareg n’est pas incompatible avec la lutte contre les groupuscules terroristes.

La situation malienne sera d’autant plus difficile à apaiser qu’elle concentre, au-delà des fragilités locales et du complexe postcolonial, les dimensions d’une crise internationale cumulant les défis des migrations et des trafics, les retombées des révolutions arabes et les usages de la violence dans des affrontements asymétriques. De l’héritage colonial, il reste le statut des populations nomades, que la France souhaitait regrouper dans une Organisation commune des régions sahariennes dans les années 1950 et qui n’ont jamais complètement trouvé leur place dans le projet national malien. Mais ce projet national, après les expériences socialistes issues de l’indépendance (Modibo Keita), puis une dictature conservatrice (Moussa Traoré), s’est perdu dans les années de libéralisation qui ont poussé, avec un désengagement de la coopération et les programmes d’ajustement structurel, à un affaiblissement de l’État2, aggravé par le développement de la corruption, surtout depuis la montée en force du trafic de cocaïne venu d’Amérique du Sud par l’Océan, qui transite par le désert vers la Méditerranée. La déstabilisation régionale, l’installation de groupes terroristes échappés de la guerre civile algérienne de la décennie 1990, les rivalités internes des mouvements djihadistes après la mort de Ben Laden puis l’afflux d’armes et le retour de mercenaires touareg après l’intervention occidentale en Libye ont précipité les événements en 2012.

C’est donc bien une reconstruction de l’État qui attend le Mali, ce qui va visiblement très au-delà des objectifs annoncés par la France le 11 janvier 2013. Le volet militaire n’est donc que partiel et c’est en matière de coopération et de diplomatie que François Hollande devra aussi faire preuve d’esprit de décision, sans quoi la griserie des armes ne laissera qu’un souvenir amer.

  • 1.

    Olivier Roy, « Vaine stratégie française au Mali », Le Monde, 5 février 2013.

  • 2.

    Gilles Holder, « Au Mali, la guerre des islamismes », Le Monde, 29 janvier 2013.

Marc-Olivier Padis

Directeur de la rédaction d'Esprit de 2013 à 2016, après avoir été successivement secrétaire de rédaction (1993-1999) puis rédacteur en chef de la revue (2000-2013). Ses études de Lettres l'ont rapidement conduit à s'intéresser au rapport des écrivains français au journalisme politique, en particulier pendant la Révolution française. La réflexion sur l'écriture et la prise de parole publique, sur…

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