Austérité et populisme : un cocktail risqué
Pour le gouvernement, avril est décidément le mois le plus cruel, particulièrement depuis que les interrogations croissantes produites par les aveux de fraude fiscale de l’ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac ont ouvert la voie à une remise en cause publique de sa politique économique d’« austérité », proférée par des ministres en exercice, ce qui a relancé le procès en déficit d’autorité du couple exécutif.
C’est simultanément, mais pour les séparer, que François Hollande a traité les deux crises, en dramatisant la secousse morale et en étouffant la contestation de la ligne politique.
Maintenir le cap de la rigueur
La rigueur a fait l’objet d’un recadrage sec par le président et son Premier ministre. Le cap du redressement des comptes publics sans casser la croissance (ou plutôt la possibilité de son retour) ne changera pas. Le débat n’a pas lieu d’être. S’il a surgi pourtant pendant quelques jours, ce n’est pas à cause de l’affaire Cahuzac, le profil rigoureux de l’ex-ministre du Budget n’ayant servi que de prétexte aux ministres contestataires. Ceux-ci s’étaient surtout cru autorisés par le récent entretien télévisé du président, dont ils avaient retenu, plus que le leitmotiv du « choc de simplification », la « tension amicale » avec Angela Merkel et le refus d’une Europe « maison de redressement ». Ils n’avaient pas mal entendu, mais mal compris parce qu’ils s’étaient trompés d’époque, croyant être encore en primaire socialiste ou en campagne de premier tour de la présidentielle.
L’élection a eu lieu, il y a un président et lui seul (la personnalisation sarkozyenne de cet entretien a été beaucoup remarquée) détermine la signification de ses propos. En l’occurrence il s’agissait, après la sortie en février de chiffres qui montraient que la France n’atteindrait pas son objectif de 3 % de déficit public en 2013, d’obtenir de l’Europe, qui doit se prononcer en juin sur le plan français, qu’elle avalise cette dérive, sous promesse de la France qu’elle reporte d’un an la réalisation de l’objectif. L’écart, entre les 3, 7 % extrapolés pour fin 2013 et les 3 % initialement visés, a une valeur : environ 15 milliards d’euros, qui épargnent aux finances publiques une purge trop sévère cette année, et sont la réalité sous-jacente à la bataille sémantique du pouvoir contre la qualification d’austérité. Celle-ci doit être réservée aux pays du sud de l’Europe où l’on baisse les salaires des fonctionnaires et diminue le montant des retraites. Pas question de déranger par des foucades intempestives « le bon rythme, la bonne marche » entre redressement et croissance, selon les mots de Pierre Moscovici, qui sont aussi le bon degré et le bon moment de pression entre la crise chypriote de mars et l’élection allemande de septembre.
Il n’y a donc qu’une seule politique économique possible, orientée vers la compétitivité et le désendettement. Et sa conduite par la gauche ne se distinguera pas par plus de dépenses sociales. Que reste-t-il dès lors comme marqueurs de gauche dans sa mise en œuvre ? La recherche du consensus syndical (au moins majoritaire) dans la loi sur la flexi-sécurité, le choix d’agir sur la durée des cotisations plutôt que sur le niveau des prestations dans la prochaine réforme des retraites (dont Hollande a fait passer l’idée en douceur à la télévision), le plafonnement des allocations familiales (mais pas leur fiscalisation). Il serait plus juste de les appeler des marqueurs de centre gauche, à l’exception du stratagème qui consiste à faire porter sur les entreprises le poids fiscal de salaires trop élevés. Rien donc qui puisse avant longtemps calmer les aigreurs de la gauche de la gauche, rien qui empêche que d’autres ouvriers ou chômeurs en colère s’invitent dans des réunions socialistes, comme ceux de Peugeot au Conseil national du PS du 13 avril, pour y obtenir droit à la parole et indulgence gênée. Hollande et les siens savent qu’il doit tenir, serrer les dents jusqu’à l’inversion de la courbe du chômage, qui n’interviendra pas fin 2013 comme il l’a imprudemment promis, mais plus vraisemblablement en 2015 ou 2016. Pour ceux qui s’y résigneraient mal, Bruno Le Roux a envisagé, plutôt qu’un remaniement qui traduirait une inflexion, un resserrement, de nombre mais aussi de ligne, au terme d’un an d’exercice.
Réaffirmer (à peu de frais) une identité de gauche
Il faut pourtant confirmer à la gauche qu’elle est au pouvoir. Quelques suppressions de mesures sarkozystes peuvent y servir : dépénalisation des violences ouvrières contre le matériel des entreprises, suppression des jurés populaires en correctionnelle. Mais rien n’est à cet égard plus utile que le mariage pour tous. Passée presque inaperçue dans le programme du candidat Hollande (à la différence du vote des étrangers qui fit polémique, surtout dans la campagne du second tour), la loi a suscité très vite une réaction forte. Passée la surprise et une réduction de la mesure, annoncée dès l’été par Christiane Taubira qui en exclut la Pma, le gouvernement n’a plus bougé d’un pouce, alors que les débats amenaient une majorité de sondés à refuser l’adoption. Il a constaté (pour ne pas dire escompté) une radicalisation des opposants, qui lui permet de ressouder son camp en confirmant l’identité d’une gauche des droits universels, et la fiabilité d’un pouvoir qui tient ses promesses.
C’est une opération analogue, quoique plus ouverte au centre, que tente la sortie de la crise Cahuzac par la moralisation. L’affaire Cahuzac est à la fois banale (ce n’est pas la première affaire de fraude fiscale d’un politique), et exceptionnelle, par l’ironie qui a voulu que l’intéressé fût ministre du Budget, et par le dédoublement de la personnalité qu’elle semble révéler au fur et à mesure de son déploiement, et qui rappelle, avec sa croyance à l’impunité, l’affaire Dsk. Elle a provoqué la stupeur, à la mesure de la force des dénégations de l’intéressé, et ouvert une boîte de Pandore : qui savait ? L’argent exfiltré était-il exclusivement privé ? Cahuzac avait-il des moyens de pression sur ses amis politiques ? Qui l’a donné ? (sa femme ou, plus inquiétant, des services mécontents des coupes budgétaires qu’il leur avait annoncées ?).
Dans les sondages, l’affaire n’a pas provoqué d’autre effet qu’une augmentation du traditionnel « tous pourris ! », et rien ne dit qu’elle aurait eu des effets durables. Mais deux avertissements ont été donnés par l’électorat : le refus des Alsaciens de réunir leurs collectivités territoriales, et l’élimination de la socialiste au premier tour d’une législative dans l’Oise avec défaite sur le fil au second tour de la candidate FN. Au moment où la gauche est, pour un temps dont le terme n’est pas connu, en déficit d’identité et que son autorité est sur la sellette, il fallait agir. Hollande a agi, en utilisant habilement le modèle américain pour faire pression, avec les autres puissances européennes, sur les paradis fiscaux, manifestant ainsi un retour d’autorité internationale. Il y a ajouté le contrôle plus attentif des patrimoines des autorités publiques, ce qui n’est pas une mauvaise chose, mais qui serait plus utile à la démocratie s’il était accompagné, à l’américaine, d’auditions devant des commissions de parlementaires et d’une période plus longue entre l’élection et l’intronisation. Mais tout le reste est peut-être surréaction : l’extension à 4 000 postes de ces contrôles, la multiplication des incompatibilités avec certaines professions du privé, la publication des patrimoines, le procureur financier national. Inquisition et épuration qui dessinent un populisme de gauche, comme il en est un de droite. Et qui permettent non seulement de rebondir, mais d’escompter un avantage statistique de la comparaison entre patrimoines de gauche et patrimoines de droite. Dans cette conjoncture particulièrement délicate, le pouvoir peut aussi compter sur les divisions de l’Ump, incapable de définir une sortie alternative au mariage gay, et prompte à se déchirer sur le bien-fondé de la moralisation.