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La réforme, la droite et la gauche

Le manque de consistance du discours critique des socialistes, encore sous le coup de l’ouverture sarkozyste, laisse un espace politique d’expression à une gauche contestataire qui croit toujours à la « convergence des luttes ». Pourtant, des réformes méritent d’être discutées sérieusement, appropriées ou réinterprétées de manière éclairée. Le type de critique à apporter à la réforme de l’autonomie des universités en est un bon cas de figure.

Que Nicolas Sarkozy se prête à des critiques, plus ou moins vives, plus ou moins radicales, alors même qu’il est prématuré de se risquer à un bilan après six mois de présidence, les lecteurs d’Esprit ont pu s’en rendre compte à la lecture de notre dernier numéro intitulé « Qu’est-ce que le sarkozysme ? ». Mais cette prise de distance, qui refuse les assimilations approximatives, abusives et parfois déshonorantes (Blair, Berlusconi, Bush, voire Pétain dans le cas de l’un de nos grands philosophes …), n’empêche en rien de suivre telle ou telle des réformes engagées par lui. Si le bras de fer sur les régimes spéciaux est déjà une invitation à anticiper les débats de 2008 relatifs aux régimes généraux de retraite, la réforme de l’université mise en œuvre par Valérie Pécresse mérite qu’on ne la prenne pas de haut et à revers en brandissant abstraitement l’alternative « pour ou contre ».

Bien au contraire, dans l’esprit des numéros d’Esprit de mai-juin 1964 (coordonné par Paul Ricœur) et de novembre-décembre 1978, il nous a semblé une nouvelle fois qu’il était important de prendre au sérieux cette institution et, dans le cas présent, d’orienter une réforme à l’avenir encore incertain. En responsabilisant les présidences des universités, elle impose de rompre avec les faux-semblants de l’autogouvernement sous tutelle, mais elle crée une inquiétude sur la démocratie interne des établissements et la liberté académique. En débloquant les initiatives locales, elle incite les universités à mettre en avant leurs atouts, là où le laisser-faire aurait fini par concentrer l’attention sur les seules universités capables de concourir à l’échelle internationale, et elles ne sont qu’une poignée (sur environ 85). En attirant l’attention sur l’université, elle évite le réflexe franco-français qui consistait jusqu’à présent à contourner le blocage universitaire en créant des institutions parallèles (écoles, grands organismes de recherche …) aptes à pallier ses manques. Or, aujourd’hui, c’est l’université qui est valorisée comme telle. L’université apparaît en effet comme lieu le plus à même de fédérer de grands nombres d’étudiants, de faire coexister, tant bien que mal, enseignement et recherche, de représenter l’universalité des savoirs. Ces caractéristiques la vouaient hier à la relégation et à la subordination mais constituent aujourd’hui, du fait de l’internationalisation des échanges et des perspectives de la « société de la connaissance », des atouts très recherchés.

Ce n’est donc pas un hasard s’il s’agit aujourd’hui de remettre l’université au cœur de l’évolution possible de l’enseignement supérieur. De ce point de vue, la question n’est pas de soutenir ou non la réforme Pécresse en alignant des mots-guillotine (privatisation, entreprises …) mais d’en tirer les potentialités vertueuses s’appuyant sur des acteurs qui partagent la conviction que cette réforme est décisive pour l’avenir de notre système de formation et de recherche.

Cependant, affirmer cela conduit à s’inquiéter une nouvelle fois du mutisme du Parti socialiste qui, confronté qu’il est à ses querelles internes mais aussi à sa légèreté idéologique et politique, se contente de compter les points (combien d’universités mobilisées ?) et s’avère incapable d’incarner une opposition digne, ce dont témoignent parallèlement les errements de Bruno Julliard et de l’Unef. Ce qui favorise en retour les radicaux, les basistes et les idéologues en tous genres qui comblent les vides d’une opposition sans projet ni cohérence. Pendant ce temps, Nicolas Sarkozy occupe l’espace en bon stratège, ce qui ne favorise guère l’éclosion d’une intelligence politique alternative autre que le progressisme à la française. Pourtant, la réforme en cours de l’Université est exemplaire pour l’avenir du clivage droite-gauche qui est indissociable d’une société démocratique : si la gauche modérée n’est pas capable de « s’approprier à gauche » un projet de loi comme celui-ci, l’extrême gauche, rigide et manipulatrice, a l’avenir devant elle au sens où elle détient le pouvoir des mots. Ce qui ne va pas sans conséquences à un moment où une entreprise capitaliste est considérée par une fraction des jeunes comme une institution totalitaire (voir le film La condition humaine de Nicolas Klotz). Certes, on comprend bien comment la stratégie Sarkozy paralyse la gauche avec ses offres d’ouverture, mais rien n’interdit de saisir parallèlement comment l’opposition ne veut pas (ne peut pas) admettre qu’il faut imaginer des ouvertures à gauche et ne pas se contenter d’une position de repli, ce qui signifie en fait attendre que Nicolas Sarkozy s’épuise et se casse la figure de lui-même. Sinon, et c’est souvent le cas depuis les grèves de 1995 dont on attendait qu’elles soient l’aube d’un grand mouvement social, la gauche comblera son absence politique et idéologique par des mesures démagogiques et une indifférence aux changements en cours (fin des compromis de l’après-guerre entre la droite et la gauche qui se ressent plus que jamais dans le cas du syndicalisme et des grèves relatives aux régimes spéciaux, nouveau monde industriel, nouvelle économie de la connaissance). Refuser l’ouverture de la droite (voir l’éditorial d’Esprit de novembre 2007) dont on paie déjà les pots cassés, c’est accepter d’ouvrir les réformes à gauche, de les transformer, de les irriguer et de les finaliser dans le sens d’une politique de gauche. Encore ne faut-il pas se contenter du discours alternatif qui confine à la bêtise : pour ou contre la réforme ?

Olivier Mongin

Directeur de la revue Esprit de 1989 à 2012. Marqué par des penseurs comme Michel de Certeau, qui le pousse à se confronter au structuralisme et l'initie aux problématiques de la ville et aux pratiques urbaines, Claude Lefort et Cornelius Castoriadis, les animateurs du mouvement Socialisme ou Barbarie, qui lui donnent les outils à la fois politiques et philosophiques de la lutte anti-totalitaire,…

Marc-Olivier Padis

Directeur de la rédaction d'Esprit de 2013 à 2016, après avoir été successivement secrétaire de rédaction (1993-1999) puis rédacteur en chef de la revue (2000-2013). Ses études de Lettres l'ont rapidement conduit à s'intéresser au rapport des écrivains français au journalisme politique, en particulier pendant la Révolution française. La réflexion sur l'écriture et la prise de parole publique, sur…

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