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New York, Sarcelles, Solférino

Il est impossible de dire, sous le coup de l’actualité, quelle tournure prendra le procès de Dominique Strauss-Kahn à New York. Et pourtant, quel concert assourdissant d’informations et de commentaires définitifs sur un processus judiciaire mal compris de ce côté de l’Atlantique ! Quoi qu’il en soit, la donne politique française s’en trouve déjà changée. Dans les journaux, « l’homme de Washington » est devenu le prisonnier de Rikers Island. Les lieux ne sont pas indifférents, et résument à eux seuls une équation politique qui était peut-être insoluble.

Dsk se trouvait donc à Times Square à New York ce samedi de mai 2011, alors qu’il venait d’essuyer une semaine de critiques après la publication des photos évoquant son train de vie1. On a découvert que la Porsche était la voiture de fonction d’un de ses proches, Ramzi Khiroun, issu de Sarcelles mais travaillant pour un Lagardère plutôt marqué à droite, donc dans la grande tradition d’un monde de la communication très consensuel. Sarcelles, ce n’est pas anodin, c’est la ville politique de Dsk, sa base électorale, son « lieu » beaucoup plus que l’hôtel new-yorkais. Comment a-t-il pu laisser croire au monde entier qu’il n’était plus que l’homme en transit permanent qui passe de chambre d’hôtel en chambre d’hôtel, d’un aéroport à l’autre, d’une classe affaires à l’autre ?

Sa nomination méritée au Fmi puis sa réussite à sa tête sont comme un piège qui s’est progressivement refermé sur lui : le maire de Sarcelles était ministre des Finances, il avait sa notoriété comme professeur et avocat, mais il avait pris ses marques dans cette ville de la proche banlieue. Or, ces marques, il les a perdues à Washington. Comment a-t-il se mettre dans cette situation intenable (sauf pour les gens de la « com » qui ne connaissent que la rétention calculée ou l’excitation folle) de ne pouvoir parler de la France, d’être en transit permanent… tout en décidant d’entrer dans la course présidentielle de 2012 ? La semaine ? qui a précédé le coup de tonnerre du 15 mai ?, il était revenu à Washington : devant les coups (la Porsche, les costumes, des relents d’antisémitisme auparavant), il a dû s’interroger sur sa volonté d’y aller, de devenir président, lui qui se voyait, en lecteur naïf des sondages, alunir, être adoubé, plébiscité par le PS et les Français réunis2. Mais comment reprendre pied, devenir présidentiable, quand on est devenu, à son corps défendant certainement, le prisonnier des zones de transit, des hôtels ?

Non, ce n’est pas l’argent qui a cassé Dsk mais la vie en permanence à distance, dans des bâtiments qui ne connaissent que des baies vitrées, des escalators, des ascenseurs et l’air conditionné. Cela ne ressemble pas à l’homme de Sarcelles, mais le sommet de sa réussite, la vie au Fmi l’a pris en étau et l’a fatalement détourné de ses terres. Ce ne fut pas un cadeau de la part de Sarkozy que cette nomination. Le Fmi, c’était la grande solitude. Washington ? Un lieu de travail qui a renforcé l’image du négociateur et du surdoué, mais aussi créé une prison dorée. Sa femme en sait quelque chose qui revenait à Paris dès que possible. Washington : une île d’où il fallait décider de revenir sur le continent, pour une campagne présidentielle en France, le pays du référendum perdu de 2005 sur l’Europe, un pays en mauvais termes avec la mondialisation, perçue comme une menace, comme un ailleurs. Il vivait ? ce n’était même pas un choix car ce n’est pas possible autrement ?, comme toutes les élites mondialisées : partout et donc nulle part. Celui qui incarnait la mondialisation, celui qui devait en faire la pédagogie en France, celui qui devait assurer le lien entre le local et le global s’est laissé « enturlupiner » dans le global, pour reprendre ce mot employé par lui pour parler de la crise financière en Corée du Sud.

Ce n’est pas sans conséquences pour Solférino et le PS, car, fort de ses élus locaux, celui-ci aime les territoires au risque de jouer trop facilement de son localisme pour mieux faire oublier le coup de tonnerre venu du patron du Fmi et donc de l’Amérique, comme la crise financière de 2008. Après les vertiges de la mondialisation outrancière, après l’homme des flux et des transits entravé et enfermé, voilà que François Hollande, digne héritier des affiches de François Mitterrand où le paysage rassurant du terroir était mis en évidence, va nous ramener au local, au banal assumé, à la France raisonnable. En cela réside justement le drame : dans cette incapacité à gauche (à droite c’est plus facile, Sarkozy essayant de faire local en brandissant une identité nationale rigide et un repli sur les valeurs, lui qui ne connaît rien à la France géographique) de faire le lien entre le clocher et le global, entre la nation et l’international (pourtant une vieille affaire pour la gauche !). La chute de Dsk risque de donner lieu à une régression : ce sera à qui fera le plus local, à qui se prémunira le mieux contre la mondialisation, l’international, Washington, New York. On va sûrement reparler identité (faisons confiance au responsable de campagne de Sarkozy, Brice Hortefeux), mais aussi viser les tares supposées des élites mondialisées, de ces inconscients qui traînent d’aéroport en aéroport, de ces esprits aériens qui ont perdu l’air frais de nos campagnes et l’air de Sarcelles.

Dsk n’avait de chance de réussir qu’en faisant passer politiquement du global au local, en régulant et en décélérant les flux trop rapides, ceux de la finance mais aussi ceux de la communication. Il avait son local à lui : Sarcelles. C’était sa chance, cela aurait pu être aussi une chance pour le pays. Décalage trop fort, trop intense, dans la tour dorée, la tour d’ivoire de Washington ? L’a-t-il ressenti la semaine où les médias ont commencé à se déchaîner sur sa fortune ? N’était-il pas trop sûr de lui, surprotégé par le Fmi, alors qu’il était coupé de la France et de Sarcelles malgré des contacts maintenus avec le nouveau maire et un quasi-plébiscite virtuel ? Ne croyait-il pas avec trop de certitude qu’on l’attendait à l’aéroport, que Solférino ferait fête à l’homme indispensable du global, à celui qui a compris mieux que personne les règles du jeu du monde à venir selon ses propres amis ? Il était l’homme prodige de cette globalisation qu’il faudra bien intégrer de force dans la France des clochers et des communes si on ne veut pas laisser les entreprises du Cac 40 défendre leurs intérêts seulement hors de France.

Dsk était populaire, dit-on, à Sarcelles. Mais peut-être pas au-delà, car on distinguait entre le mode de vie et les capacités d’action de l’homme ! Ailleurs il était moins populaire que nécessaire. Mais il a raté son coup. At-il cru que l’on passait sans coup férir du Fmi à Sarcelles et de Times Square à Solférino ? N’a-t-il pas trop cru en son intelligence, son assurance, son charme ? Alors même qu’il était le candidat de l’intelligence, la passion et les sens ont repris le dessus, rien de nouveau sous le soleil ! Et il le paie très cher. Autrefois la gauche méditait sur les médiations, sur les liens entre l’État et la société. Mais dans la société en réseau d’aujourd’hui, il n’y a plus de médiations : on passe de haut en bas et de bas en haut d’un coup, violemment, brutalement. Ce qui fait mal quand on est en haut.

Il faudra pourtant bien faire ce lien entre le local et le global ! Mais si on a tous les pieds dans le « glocal », on peut l’oublier vite dans les fausses lumières des salles d’attente de tous les lieux de transit du monde. Il ne fallait pas tant attendre pour se présenter, avoir envie d’y aller. Était-ce vraiment le cas de Dsk ? Il n’a pas eu le temps de le montrer, de le prouver : c’est la cruauté de ce qui vient de se passer. À Solférino, si on ne veut pas retomber dans les travers du localisme, il va falloir revenir à Sarcelles et rejoindre le monde… Entre le local et le global, ce sont les allers-retours qui sont décisifs…Autrement on se laisse enfermer en bas ou en haut.

  • 1.

    Tous les magazines s‘y sont mis, même Le Nouvel observateur relooké, l’hebdo de la gauche caviar, a titré sur ceux qui ont tout… en s’appuyant sur le énième entretien avec les sociologues des riches, les Pinçon-Charlot. Au demeurant Dsk, comme Sarkozy, ne fait pas partie de ce monde des riches, à la différence de son épouse, puisqu’il est un parvenu, ce qui n’est pas la même chose en France où les riches restent des « bien nés ».

  • 2.

    Voir notre éditorial : « Présidentiable ou non ? », Esprit, février 2011.

Olivier Mongin

Directeur de la revue Esprit de 1989 à 2012. Marqué par des penseurs comme Michel de Certeau, qui le pousse à se confronter au structuralisme et l'initie aux problématiques de la ville et aux pratiques urbaines, Claude Lefort et Cornelius Castoriadis, les animateurs du mouvement Socialisme ou Barbarie, qui lui donnent les outils à la fois politiques et philosophiques de la lutte anti-totalitaire,…

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