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Notes de lecture

Dans le même numéro

Lipstick Traces. Une histoire secrète du vingtième siècle, de Greil Marcus

octobre 2018

#Divers

Critique pour Rolling Stone, l’Américain Greil Marcus est également un historien de la culture populaire américaine. Auteur de plusieurs livres sur Bob Dylan, dont La République invisible: Bob Dylan et l’Amérique clandestine (Denoël, 2001), il s’est fait remarquer en 1989 pour son Lipstick Traces, littéralement «  traces de rouge à lèvres  », que les éditions Allia republient dans une luxueuse édition revue et augmentée à l’occasion du vingtième anniversaire de sa traduction française. Les Sex Pistols, groupe anglais de musique punk, à l’origine d’une révolution dans le monde du rock’n’roll et porteur d’un refus intransigeant du monde tel qu’il est, sont à la fois au cœur et à l’origine du récit. G. Marcus souligne ainsi l’ambition du groupe de changer non seulement la musique de leur époque mais la vie tout entière. Par ailleurs, si les « Sex Pistols [ont ouvert] une brèche dans le monde du rock et de la chanson, dans l’écran des certitudes qui sont censées régir l’offre et la demande en matière de goût », ils s’inscrivent dans une histoire plus large, que G. Marcus propose d’envisager comme « le résultat de moments qui semblent ne rien laisser derrière eux, rien, excepté le mystère de connexions spectrales entre des gens très éloignés dans l’espace et dans le temps, mais parlant, en quelque sorte, le même langage ». Autrement dit, pour le critique, une influence directe, voire une simple connaissance, n’est pas indispensable à différents acteurs éloignés dans le temps pour que leur démarche les rapproche. Au centre de la démarche en question se retrouve un « désir de changer le monde ». L’enquête de G. Marcus porte ainsi sur la genèse et les liens existant entre différents courants artistiques réunis autour de cette même idée. Le récit progresse alors à rebours et par détours : des situationnistes de Guy Debord, du lettrisme d’Isidore Isou, des sur­réalistes d’André Breton, des Dada du café ­Voltaire à Zurich, en remontant jusqu’au jeune Karl Marx, au révolutionnaire Saint-Just, à quelques hérétiques du Moyen Âge et aux chevaliers de la Table ronde. « C’était avant tout un jeu, ou une plaie qui démangeait: la poursuite d’une vraie histoire, ou d’une histoire sans suite pour le plaisir que seule une histoire sans suite peut apporter. » Ce faisant, il contribue parfois à construire une histoire de toutes pièces, ou plutôt, comme il l’écrit lui-même, à mettre en lumière une forme de potlatch, de dons et de contre-dons, entre des artistes et des penseurs d’époques différentes. De cette quête résulte un palimpseste tourbillonnant : un collage de récits et d’extraits de livres, de chansons, de photographies, de coupures de presse, de bandes dessinées détournées, où se croisent Johnny Rotten et ses plagiaires par anticipation. G. Marcus met en musique, avec style, l’histoire de quelques-unes des avant-gardes les plus en vue du xxe siècle, mais aussi leurs inachèvements et leurs échecs. Avec pour refrain les derniers mots, sûrement apocryphes, prononcés par Rashid al-Din Sinan, chef des Assassins du Levant à la fin du xiie siècle, à son successeur : « Rien n’est vrai; tout est permis. »

 

Allia, 2018
2 p. 30 €

Benjamin Caraco

Docteur en histoire et conservateur des bibliothèques, Benjamin Caraco est chercheur associé au Centre d’histoire sociale des mondes contemporains (UMR 8058) et coordonne la rédaction du site Nonfiction.

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L’hostilité djihadiste

Le terrorisme djihadiste pose une question de confiance à la démocratie. Comment comprendre que des jeunes soient séduits par cette idéologie et s’engagent dans la violence ? Quel rôle y joue la religion ? Le dossier, coordonné par Antoine Garapon, observe que les djihadistes sont bien les enfants de leur époque. À lire aussi dans ce numéro : Mai 68 en France et en Pologne, le populisme du mouvement 5 étoiles, une critique de l’Université, ainsi que des commentaires de l’actualité politique et culturelle.