
Leçon de ténèbres. Dits et récits de Dominique Preschez
Ces leçons de ténèbres éclairent une vie et une œuvre saisissantes, sans livrer – ou si peu – les clés d’une rhapsodie en mode mineur, ciselée, lugubre, poignante, miséricordieuse parfois et parlant à la mort.
Un livre d’exorcisme se peut-il de soi seul, à son seul miroir ? Qui dirait naissances cruelles, corps livrés, jeunesse, maturité, égarements, bien et mal entrelacés, dénoués dans la furie, la rage, la consolation, le désespoir et bien sûr la furie des mots en leur puissance ? Vaine ? Peut-être pas, pour qui lit, veut bien lire, accepterait de circuler entre des vies parcourues à leur versant noir, où Dieu et le diable se disputeraient encore les âmes.
Dominique Preschez, récemment disparu, laisse une œuvre singulière, émouvante, tragique et littérairement géniale, livrant des existences portées d’outrages, d’abandon, de stupre et de drogues, environnée de toutes les connivences crapuleuses, marginales, miséreuses ou déclassées, entre paradis artificiels, rencontres improbables et liaisons transgressives. Les siennes ?
Dans les quatorze séquences de ces Dits et récits, nous sommes entraînés à partager des dérives extrêmes, entre des relents de Sade, un Éros canaille digne de Genet, des épisodes sordides qu’un Céline même n’aurait pu imaginer, et des climats hantés par Charles Bukowski, Henry Miller ou William S. Burroughs… Littérature violente, sulfureuse, désacralisée, sublime. Entre avatars de la chair parieuse et perdante, péchés et dispersions. Des écrits donc, mais à lire aussi comme on se shoote, s’envole ailleurs ou plonge dans les abîmes de certaines vies terrestres tordues, déchiquetées, errant aux bords d’un sublime douloureux et sans nom… Et qu’il faudrait pourtant nommer, justement.
Un tel livre tranche par les exubérances ou les délires qu’il rapporte, ses abominations traversées, ses confessions diaboliques, mais surtout la rigueur, la pénétration d’une langue extrêmement riche et précise, une écriture parfois hallucinée, glorieuse à force, étonnamment minée.
Comme tant d’autres, par provocation sans doute de l’éditeur, cet ouvrage est proposé comme un « roman », constitué en fait de nouvelles, d’histoires singulières convoquant telle figure de la mort et du sacrifice, bouleversantes dans l’aveu d’abus suggérés ou de crimes réels, et dans la solitude de destins sans recours. Du bordel homosexuel à l’asile psychiatrique, des prises de drogue aux jouissances sadiques, des maladies honteuses au coma hospitalier, d’amours folles ou pitoyables à des vengeances sacrificielles entre déclassés, abusés, illuminés ou pervers de banlieues sombres, de quartiers réservés, de campagnes hantées, où dans l’ombre veilleraient un regard christique et l’espoir lointain d’une compassion.
La critique hésite ici entre l’invention pure qu’on suppose de dramaturgies atroces ou sublimes et des souvenirs véraces d’une enfance déchirée ou volée qui se rapportent. Les deux dernières Leçons de ténèbres éclaireraient une vie et une œuvre saisissante sans livrer – ou si peu – les clefs d’une sombre rhapsodie toute en mineure, ciselée, lugubre, poignante, miséricordieuse parfois et parlant à la mort.
Ces leçons de ténèbres éclairent une vie et une œuvre saisissantes, sans livrer – ou si peu – les clés d’une rhapsodie en mode mineur, ciselée, lugubre, poignante, miséricordieuse parfois et parlant à la mort. Ce livre paraîtra inouï, intempestif ou scandaleux à ceux qui ont connu ou entendu l’homme affable, courtois, érudit, le poète et l’écrivain lettré qui en était l’auteur, pour ne pas parler de l’organiste d’église réputé et du compositeur. Écrire pourrait être encore un exercice sacré, musical et libre, où le sublime peut sourdre de la fange et une beauté noire d’êtres en déréliction. Un exorcisme est là, tel une Passion restituée, entre lamentations, souffrance des chairs, cris, larmes, voix éplorées et destins dissonants. Stations infernales se voulant rédemptrices ?