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Notes de lecture

Dans le même numéro

Le bonheur, sa dent, douce à la mort. Autobiographie philosophique de Barbara Cassin

mai 2021

Qu’est-ce qu’une traversée féminine de la philosophie, cette discipline historiquement masculine ? Qu’est-ce qui se raconte sans réserve, ni parfois pudeur, d’une femme aux différents rôles sociaux ou positions prises ? Barbara Cassin ne cache rien d’une vie originale, parfois difficile, paradoxale, mais riche et aboutie.

Les philosophes prendront grand plaisir à suivre un itinéraire à contre-courant, entre une forte allégeance philologique à la langue grecque, et une construction philosophique renversante, où la sophistique triomphe contre la logique, la metis – cette ruse homérique – contre l’idéalisme des essences. La philosophie-femme prône en effet le sophiste Gorgias, le génie métaphorique de Homère, la rhétorique triomphante, un logos entreprenant, le passage plutôt que l’état, les langues différentielles et génératrices de modes spécifiques de penser, les traductions des langues entre elles, avec leur sémantique créative et ainsi d’autres vérités.

Ce livre sincère et passionnant est une généalogie, de la philosophie, mais aussi de l’autrice. On retiendra la profonde boutade lancée à Cerisy par Jean-François Lyotard à la mémorialiste : « Toi, tu t’occupes des Grecs pour ne pas t’occuper des Juifs. » La judéité de Barbara Cassin revient de manière récurrente dans son récit. L’autrice ne cache pas les blessures que l’antisémitisme a pu infliger à sa chair et son esprit et comment il lui a fallu dépasser ce mal pour rester libre et philosopher entre les Juifs et les Grecs. On lira aussi dans ce livre rare les rencontres équivoques avec Heidegger, Char, Lacan et bien d’autres, de la Sorbonne ou d’ailleurs.

L’ouvrage s’achève sur la mort des plus proches, le triomphe de ce qui se rappelle d’une existence aimée. « Il y a la langue et ce qui au plus haut point fait la langue, les sons des poèmes et les sons des voix. » La poésie, langage des fous, des voyants et des dieux peut encore interpeller. Sans elle, le philosophe, dans le ciel parfois brumeux de ses idées, ou le politique, tordant le réel à sa façon égoïste ou brutale, resteraient oublieux des pouvoirs du langage, qui peuvent enchanter le monde, comme aussi le transformer.

Fayard, 2020
252 p. 20 €

Claude-Raphaël Samama

Docteur en anthropologie, directeur de la revue L’Art du Comprendre, il est notamment l’auteur de Le spirituel et la psychanalyse (L’Harmattan, 2015) et Perspectives pour les islams contemporains (L’Harmattan, 2016). Voir son site internet : www.claude-raphael-samama.org.

Dans le même numéro

L’idée libérale en question

Force structurante de notre modernité, le libéralisme concentre ces dernières années toutes les critiques. Mais lorsque certains fustigent la société du tout marché, l’individualisme et l’égoïsme contemporains, l’élitisme, les inégalités ou l’autoritarisme, est-ce bien à l’idée libérale qu’ils en ont ? La démocratie peut-elle se passer du libéralisme ? C’est à ces questions que s’attache ce dossier, coordonné par Anne-Lorraine Bujon. Le libéralisme y apparaît d’abord comme une tradition plurielle, capable de se renouveler et de se combiner avec d’autres courants de pensée politique. Timothy Garton Ash le définit comme une méthode plutôt qu’un système : « une quête interminable pour déterminer le meilleur moyen de bien vivre ensemble dans les conditions de la liberté ». À quelles conditions, et dans quelles formes nouvelles peut-on défendre aujourd’hui l’idée libérale ? À lire aussi dans ce numéro : l’Allemagne après la réunification, les pays baltiques, la mémoire selon Ernest Pignon-Ernest, une lecture de Nœuds de vie de Julien Gracq, et la vie de Konrad von Moltke, le délégué de la nature.