
Les opérations extérieures de la France sous la dir. de Julian Fernandez et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer
Préface du général Henri Bentégeat
Depuis la fin de la guerre d’Algérie, les armées ont été régulièrement engagées à l’extérieur du territoire national dans des opérations d’une ampleur variable, décidées au sommet de l’État sans véritable contrôle parlementaire. Dans la mesure où ces interventions, dénommées « OPEX », ne mettent en jeu que des unités professionnalisées, elles ont été acceptées par la population. Peut-on dire pour autant que celle-ci y voyait le prix à payer pour maintenir la « grandeur de la France », objectif inspiré par le fondateur de la Ve République ?
Longtemps circonscrites au « pré carré » de nos anciennes colonies africaines, elles ont commencé au Tchad dès 1968, puis ont connu une forte extension après la dissolution du pacte de Varsovie. De manière générale, par respect du droit international, la France ne s’engage que sous la bannière de l’ONU. Ce fut le cas dans le Golfe en 1990 et en Somalie en 1992. Par la suite, la « responsabilité de protéger », introduite par la France sous l’impulsion de Bernard Kouchner, érigée en principe en 2005 par l’Assemblée générale des Nations unies, mais dans l’air du temps depuis plus de dix ans sous le vocable incertain d’« ingérence humanitaire », a servi de base ou de prétexte à de nouveaux déploiements des forces françaises aux Balkans, en Libye en 2011 et jusqu’en République centrafricaine en 2013. Les violences redoublées du djihad islamiste ont conduit la France en Afghanistan après le 11 septembre 2001 et au Moyen-Orient après 2014. Ainsi, d’interventions nationales ponctuelles et légères, les forces françaises en sont venues à des guerres de coalisés dans un environnement largement hostile.
Cette activité guerrière incessante, qui n’émouvait guère la population, sauf en cas de victimes en nombre inhabituel, a curieusement peu intéressé l’université française, qui s’est détournée de ce thème riche en enseignements, alors que les opérations extérieures des États-Unis et du Royaume-Uni faisaient l’objet de nombreuses études dans les milieux académiques anglo-saxons. Comme si l’histoire militaire de la France avait pris fin avec les accords d’Évian de 1962. L’inauguration récente, à Paris, par le chef de l’État, d’un monument à la mémoire des quelque 600 militaires morts pour la France en opérations extérieures traduit peut-être un tournant.
Aussi l’ouvrage collectif dirigé par Julian Fernandez, qui dirige le Centre Thucydide, et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer comble-t-il ce retard, en regroupant des analyses d’universitaires et de juristes et s’enrichissant de témoignages d’acteurs militaires. Ainsi s’éclaire une face méconnue de notre politique militaire, de l’approche théorique à la vie quotidienne en opération. Indiquons que plus de 7 000 soldats français sont aujourd’hui déployés sur de nombreux théâtres extérieurs (5 100 pour Barkhane au Sahel, 600 pour Chammal au Levant, 1 260 autres pour des missions de l’ONU, de l’Otan et de l’UE et 500 pour des missions maritimes), sans compter les forces de présence (3 700 militaires dans cinq pays d’Afrique et du Moyen-Orient). Plusieurs autres opérations ont eu lieu ces dernières années qui sont aujourd’hui terminées, dont Hamilton en Syrie (2018) et Sangaris en Centrafrique (2013-2016). Les motifs de ces opérations sont variés : maintien de la paix et de la sécurité internationales, contre-insurrection, lutte contre les armes de destruction massive, protection de victimes de crimes de masse.
Ce livre ne couvre pas la participation de la France aux opérations de maintien de la paix onusiennes, qui relèvent d’une logique différente, car celles-ci ne sont pas de nature combattante. Que désigne-t-on exactement lorsque l’on parle d’« opérations extérieures » ? Que révèle l’emploi de cette expression ? Quels sont ses contours politiques, juridiques, sociologiques, et sa réalité opérationnelle, telle qu’elle est vécue par les militaires ? Quel état des lieux peut-on aujourd’hui dresser de la projection à l’étranger de la force militaire française ? Quelles leçons proposer au regard des défis rencontrés ?
Longtemps élastique, sinon « fourre-tout » tant il recouvrait des missions très différentes, le concept d’opération extérieure a récemment fait l’objet de premières définitions. La loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire 2014-2019 présente ainsi l’OPEX comme une « intervention à l’extérieur du territoire national [qui] vise, par la projection de capacités militaires, à protéger les ressortissants français et européens, à défendre les intérêts de la France dans le monde et à honorer nos engagements internationaux et nos responsabilités ».
Ce livre, parfois technique, devrait intéresser un assez large public allant bien au-delà de la « communauté stratégique », constituée de quelques centaines de militaires, d’experts, de géostratèges, de journalistes spécialisés, sans parler des responsables politiques et des diplomates. La France reste encore l’une des rares puissances n’appartenant pas au club des grands (États-Unis, Russie, Chine), capable, désireuse de projeter ses forces à l’étranger, ce qui la distingue de ses partenaires européens. Cela pose des questions éthiques, auxquelles il convient de répondre. Après tout, si la France est la cible d’attentats islamistes, c’est, parmi bien d’autres causes, en raison de ses engagements militaires en terre d’islam, comme au Mali, où d’ailleurs on a manifesté contre la profanation de l’image du prophète. On trouvera bien des arguments et des réponses, des évaluations sur toute cette gamme de questions dans cet ouvrage qui, par maints aspects, fait figure de pionnier.