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Notes de lecture

Dans le même numéro

Canguilhem philosophe. Le sujet et l’erreur de Michele Cammelli

Préface d’Étienne Balibar

novembre 2022

[Ce] livre de Michele Cammelli, […] nous amène vers une nouvelle compréhension d’un penseur essentiel de la modernité.

Georges Canguilhem a toujours poussé loin la discrétion, comme une attitude morale nécessaire. Seul son livre Le Normal et le Pathologique a dépassé les milieux fermés de l’épistémologie, notamment lorsqu’il est publié aux États-Unis avec une préface de Michel Foucault qui fait date. Depuis la disparition de Canguilhem, le retentissement de son œuvre n’a fait que croître, et l’édition complète de celle-ci, entreprise chez Vrin, a confirmé l’importance de sa philosophie. Désormais, outre les textes publiés de son vivant, on dispose des inédits, qui permettent de réévaluer radicalement la pensée de Canguilhem. Cammelli parle de « changement d’axe, qui redonne soudain à la philosophie et à la métaphysique une place centrale dans l’intelligibilité de l’œuvre canguilhemienne  ».

La grande découverte est que Canguilhem a largement débordé le champ épistémologique et s’est intéressé en particulier à la philosophie du sujet. En effet, les archives « nous révèlent qu’à côté de l’œuvre ouverte sur les matières extra-philosophiques existe une œuvre qui porte sur le problème du sujet, le problème le plus classique de la philosophie moderne, et qui se confronte à la tradition philosophique en même temps qu’elle essaie de donner lieu à une nouvelle philosophie ». Ce faisant, Canguilhem s’oppose ainsi à ce qu’on appelle la French Theory, qui a tant fustigé et même « déconstruit » le concept de sujet.

Canguilhem s’appuie sur les grands philosophes du passé pour étayer son propos. Son affinité avec Descartes est forte, même s’il tente de le dépasser : « faire retour à Descartes, non pour y retrouver une ontologie mais pour rompre avec la tradition ontologique elle-même ». Chez Descartes encore, Canguilhem retrouve le problème central de l’erreur, qui lui permet de poser la question « métaphysique de la connaissance de la vie ». C’est peut-être ce qui lui fera dire qu’il se situe lui-même entre Descartes et Nietzsche, ce dernier ayant insisté sur une morale de l’action (« les conséquences de nos actions, écrivait Nietzsche, nous saisissent aux cheveux »). La pensée du sujet, pour Canguilhem, n’est pas « oubli de l’être », comme chez Heidegger, mais bien plutôt « pensée du vivant  ».

On a parlé d’un tournant éthique dans l’œuvre de Michel Foucault à la fin de sa vie. Une même préoccupation existe depuis le début chez Georges Canguilhem, sans doute de manière plus systématique et méthodique qu’on ne croyait, puisqu’elle donne son unité secrète à l’ensemble de son œuvre. C’est la grande leçon à retenir de ce livre de Michele Cammelli, qui nous amène vers une nouvelle compréhension d’un penseur essentiel de la modernité.

Presses universitaires de France, 2022
312 p. 21 €

Jacques-Émile Miriel

Critique littéraire, il a collaboré au Magazine littéraire et au Dictionnaire des Auteurs et des Oeuvres (Robert Laffont, 2007).

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Chine : la crispation totalitaire

Le xxe Congrès du PCC,  qui s'est tenu en octobre 2022, a confirmé le caractère totalitaire de la Chine de Xi Jinping. Donnant à voir le pouvoir sans partage de son dictateur, l’omniprésence et l'omnipotence d'un parti désormais unifié et la persistance de ses ambitions globales, il marque l’entrée dans une période d'hubris et de crispation où les ressorts de l'adaptation du régime, jusque-là garants de sa pérennité, sont remis en cause. On observe un décalage croissant entre l’ambition de toute-puissance, les concepts-clés du régime et le pays réel, en proie au ralentissement économique. Le dossier de novembre, coordonné par la politologue Chloé Froissart, pointe ces contradictions : en apparence, le Parti n’a jamais été aussi puissant et sûr de lui-même, mais en coulisse, il se trouve menacé d’atrophie par le manque de remontée de l’information, la demande de loyauté inconditionnelle des cadres, et par l’obsession de Xi d’éradiquer plutôt que de fédérer les différents courants en son sein. Des failles qui risquent de le rendre d'autant plus belliqueux à l'égard de Taiwan. À lire aussi dans ce numéro : Le droit comme œuvre d’art ; Iran : Femme, vie, liberté ; Entre naissance et mort, la vie en passage ; En traduisant Biagio Marin ; et Esprit au Portugal.