
Spinoza et le christianisme d'Henri Laux
Spinoza a toujours été accusé d’être athée ou bien encore de défendre une philosophie panthéiste. Henri Laux ne conteste pas complètement ces accusations, mais il les nuance considérablement.
On sait que Baruch Spinoza, éduqué dans le judaïsme, a été exclu de sa communauté à l’âge de 24 ans. Dès lors, il vécut, en ce siècle d’or des Provinces-Unies, dans un environnement essentiellement chrétien. L’interprétation des Écritures, Nouveau Testament compris, domine sa pensée, notamment dans son Traité théologico-politique (1670), seule œuvre achevée de lui parue de son vivant. Il est, dans ces conditions, légitime de s’interroger sur Spinoza et le christianisme, comme le fait dans son nouvel essai Henri Laux, jésuite et professeur émérite de philosophie.
Spinoza a toujours été accusé d’être athée ou bien encore de défendre une philosophie panthéiste. Henri Laux ne conteste pas complètement ces accusations, mais il les nuance considérablement. Certes, souligne-t-il, Spinoza s’adresse d’abord aux philosophes et non aux théologiens. Surtout, il remet en question de manière radicale des principes comme la divinité du Christ, l’Incarnation et la Résurrection. Il ne faudrait pas néanmoins considérer que de tels refus représentent une affirmation définitive. Comme l’écrit Henri Laux, l’athéisme de Spinoza est à « réinterroger » et « doit se comprendre aussi, et peut-être avant tout, dans ses dimensions éthiques et anthropologiques ». Spinoza a toujours regretté de passer pour athée, allant jusqu’à affirmer « sa parenté avec le discours de Paul ». Henri Laux, pour étayer son propos, cite la correspondance de Spinoza avec Henry Oldenburg, notamment à propos de la Résurrection.
Comme Descartes un peu avant lui, Spinoza tente de reprendre le processus de la connaissance humaine à la base et de faire le tri de toutes les questions qui se posent. Henri Laux ajoute que l’exégèse actuelle se rapproche de Spinoza. Il ne s’agit plus aujourd’hui d’affirmer a priori des vérités péremptoires, mais de les redécouvrir avec une certaine humilité. Spinoza est en somme l’un des précurseurs de cette méthode de raisonner, bien en avance sur son temps. Henri Laux essaie de l’expliquer longuement, avec subtilité, notamment lorsqu’il parle, chez Spinoza, de « l’écart avec la foi chrétienne » ouvrant sur « l’espace possible d’une exploration renouvelée des ressources et de la pensée et de la foi ». Il ne s’agit pas de faire de Spinoza un chrétien parfait qui s’ignore, simplement de montrer comment il utilise la religion pour progresser avec lenteur.
Henri Laux a ensuite la bonne idée de passer en revue ce que des théologiens modernes doivent à Spinoza. Il en étudie un certain nombre, de Karl Barth à Hans Urs von Balthasar, qui sont dans leur grande majorité assez peu concernés par l’auteur de l’Éthique. Il faut arriver à la figure récente de Joseph Moingt pour constater davantage de considération et surtout d’audace. Pour Moingt, Spinoza n’est pas athée, à proprement parler. Au contraire, il « sert de fil conducteur et d’interprétation à tout ce mouvement de perte de la croyance » auquel nous assistons aujourd’hui dans la société. À propos du prétendu « panthéisme » de Spinoza, Moingt fait référence à Teilhard de Chardin pour qui, selon Henri Laux, il s’agit plutôt d’un « renouvellement et non une négation de la pensée de Dieu ». C’est un argument qui, aujourd’hui, retient l’attention de certains jeunes philosophes contemporains, en particulier en France.
Spinoza, philosophe avant toute chose, apportait donc un point de vue critique à ce qu’il étudiait. Or la légitimité de son entreprise de refondation s’adapte à notre temps, au-delà même de la religion proprement dite, mais toujours selon une tradition forte. Sur des thèmes, évidemment en lien avec la théologie, qui font entrer en jeu la liberté de conscience (le lien social ou même la laïcité, par exemple), Spinoza a encore beaucoup à nous apprendre. C’est l’occasion pour la théologie de rejoindre la philosophie, comme le préconise Henri Laux, afin que toutes les deux partagent « une attitude commune ». Projet certes encore ambitieux, autour de Spinoza, mais passionnant.