
Coïts d'Andrea Dworkin
Traduit par Martin Dufresne
Andrea Dworkin (1946-2005) est violée à 9 ans dans un cinéma, arrêtée à 20 ans alors qu’elle manifeste contre la guerre au Vietnam, violentée lors de son incarcération par les médecins ; quelques années plus tard, son mari, un anarchiste hollandais la bat, en 1999 à Paris, elle est à nouveau violée dans sa chambre d’hôtel, elle qui n’a cessé de dénoncer les violeurs et de condamner les violences faites aux femmes et de lutter contre la pornographie, qui incite et légitime les hommes à maltraiter les femmes. Son ouvrage de 1987, Intercourse, vient enfin d’être traduit en français et l’on est étonné d’un tel délai, alors qu’il est très bien écrit, solidement argumenté et terriblement en phase avec la société sexiste et féminicide ! C’est un essai littéraire, dans le sens où elle présente l’œuvre d’écrivains, en privilégiant la manière dont ils parlent des femmes et de l’hétérosexualité, mais c’est surtout un dossier à charge contre leur misogynie combinée au pouvoir incontesté du mâle. Comme les romans possèdent bien souvent une inspiration autobiographique, elle n’hésite pas à relater certains comportements de ces « grands écrivains » envers leur épouse et plus généralement envers la gent féminine. Aucun d’entre eux n’en sort grandi. La thèse pourrait être résumée ainsi : le corps de la femme, comme un territoire, résulte d’une conquête ; il est pénétré et occupé pour la seule satisfaction masculine sans jamais se soucier de l’éventualité du plaisir ou des sentiments de la femme. Tolstoï, qui notait tout, n’est pas gêné d’avouer baiser sa femme quand il veut, où il veut, et jusqu’à 80 ans. Pas une seule fois il ne se demande ce que sa femme pense de ses treize grossesses et de tout le poids de l’économie domestique et encore moins ce qu’elle attend de leur amour. Ce qui ne l’empêche pas de revendiquer la « libération des femmes », de s’inquiéter du sort des pauvres, de prêcher l’amour du prochain… Diego Rivera peignait des fresques à la gloire du prolétariat révolutionnaire tout en frappant sa femme, Frida Kahlo : « Quand j’aimais une femme, plus je l’aimais et plus je voulais lui faire de mal », avoua-t-il à un ami. « Le génie de l’objectification comme stratégie de domination, écrit justement A. Dworkin, est qu’elle amène la femme à prendre l’initiative dans son avilissement (avoir moins de liberté est avilissant). La femme assume entièrement un genre de responsabilité et s’engage ainsi au maintien de son infériorité : elle police son corps ; elle intériorise les exigences de la classe dominante et, pour être baisée, construit sa vie de façon à répondre à ces exigences. C’est le meilleur système de colonialisme au monde : la femme assume le fardeau, la responsabilité de sa soumission, de son objectivation. » Elle donne comme exemple l’excision pratiquée par des femmes sur leurs filles… Comment sortir de cette relation de dépendance que les femmes acceptent comme une fatalité ou pire, comme la règle de tout rapport sexuel. « Si le coït, conclut-elle, peut être une expression de l’égalité sexuelle, il devra survivre à la destruction du pouvoir masculin sur les femmes – pour ses propres mérites en quelque sorte, au nom d’un potentiel d’expression humaine non encore reconnu ou actualisé. Et le viol et la prostitution devront être reconnus comme les institutions entravant le plus toute expérience du coït comme liberté – comme choisi par des êtres humains à part entière disposant d’une liberté à part entière. »