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Notes de lecture

Dans le même numéro

Introduction à Jacques Ellul de Patrick Chastenet

décembre 2019

Philosophe critique de la technique, théologien protestant, dénonciateur de la propagande, militant écologiste hors parti, Jacques Ellul (1912-1994) est entré en politique avec son ami Bernard Charbonneau aux côtés de la revue Esprit, qui ne publie pas leurs «  Directives pour un manifeste personnaliste  » (1935). Il poursuivra sa réflexion dans plus de mille articles et une soixantaine d’ouvrages traduits en une douzaine de langues, dont La Technique ou l’Enjeu du siècle (1954), Le Système technicien (1977) et Le Bluff technologique (1988). On lui doit aussi une imposante Histoire des institutions, un essai inclassable intitulé Sans feu ni lieu. Signification biblique de la Grande Ville, une enquête sur la Jeunesse délinquante. Des blousons noirs aux hippies (avec Yves Charrier) ou encore La Subversion du christianisme et Anarchie et christianisme. Pour Ellul, la technique moderne se manifeste par la rationalité, l’artificialité, l’automatisme, l’auto-accroissement, l’unicité, l’enchaînement des techniques les unes aux autres, l’universalisme et l’autonomie. Selon lui, écrit Patrick Chastenet, «  la technique agit comme une puissance indépendante qui n’hésite pas à modifier notre environnement naturel. […] Ce n’est plus à la machine de s’adapter à l’homme mais à l’homme de s’adapter à la machine  ». La technique roule pour elle et constitue un véritable «  milieu  » ou «  système  » dans lequel tout humain est subordonné et privé de toute autonomie ; il n’est plus qu’un consommateur de biens et de services sans aucune valeur propre. L’État (le droit et la politique) et la propagande (manipulations psychologiques, management, publicité, appauvrissement de la langue, langage binaire de l’ordinateur, etc.) sont les bras armés de la technique qui ne s’avère jamais émancipatrice. La technique appelle la technique en un processus sans fin qui accélère de plus en plus… Avec le nucléaire, le pire devient probable, et la technocratie se fait «  nucléocratie  » sans provoquer la révolution que Jacques Ellul considère comme indispensable. «  L’anarchie est la seule solution possible  », explique-t-il, pour reconvertir l’appareil productif des pays industriels en favorisant celui du tiers-monde ; provoquer une décentralisation de l’État avec la suppression de l’armée, le refus de la croissance, la baisse de la consommation ; favoriser la production d’énergie au niveau local ; réduire le travail à deux heures par jour tout en généralisant l’autogestion des entreprises et des administrations. Ce dernier objectif vise à réaliser les quatre premiers, d’un point de vue économico-financier, il assure ce que nous nommons à présent la «  transition  ». Comme l’écrit Patrick Chastenet, «  l’écologie d’Ellul est une écologie humaine, dans le sens où elle replace toujours la personne – l’habitant, l’usager, le forestier, le paysan – au centre du dispositif  ». Cette présentation de l’œuvre d’Ellul – parfois ardue et souvent à l’écriture exigeante – est claire, accessible et convaincante. Elle évoque aussi la diffusion et la réception de ces écrits. En 1993, à Bordeaux, Ivan Illich rendait hommage à Jacques Ellul : «  Notre condition humaine actuelle est une excroissance du christianisme. Tous ses éléments constitutifs sont des perversions. Alors qu’ils doivent leur existence à la Révélation, ils en sont pour ainsi dire le complément inversé, le négatif des dons divins. Et, en raison de ce que vous qualifiez d’étrangeté historique, ils sont réfractaires à la critique philosophique et éthique.  » La conférence d’Ivan Illich (reprise dans La Perte des sens chez Fayard en 2004) articule la théologie d’Ellul à sa critique radicale du système technique. Avec cette Introduction claire et bien documentée, tout lecteur peut s’aventurer dans l’œuvre d’Ellul.

La Découverte, coll. « Repères », 2019
128 p. 10 €

Thierry Paquot

Philosophe, professeur à l'Institut d'urbanisme de Paris, il est spécialiste des questions urbaines et architecturales, et participe activement au débat sur la ville et ses transformations actuelles. Thierry Paquot a beaucoup contribué à diffuser l'oeuvre d'Ivan Illich en France (voir sa préface à Ivan Illich, La Découverte, 2012), et poursuit ses explorations philosophiques du lien entre nature,…

Dans le même numéro

Quand le langage travaille

Là où nos sociétés connaissent des tensions, là aussi travaille le langage. Le dossier d’Esprit (décembre 2019), coordonné par Anne Dujin, se met à son écoute, pour entendre l’écho de nos angoisses, de nos espoirs et de nos désirs. À lire aussi dans ce numéro : les déçus du Califat, 1989 ou le sens de l’histoire et un entretien avec Sylvain Tesson.