
Histoire politique du xixe siècle de Nicolas Delalande et Blaise Truong-Loï
Cette histoire politique est tout aussi militante, tant les auteurs se concentrent sur les manifestations sociales, l’ascension des idées socialistes, les métissages et les dominations.
Cet ouvrage ayant pour ambition de remplacer les synthèses de Serge Berstein et Pierre Milza, ou les volumes d’Éric Hobsbawm, pour les étudiants de première année de Sciences Po Paris abordant le xixe siècle, il doit être analysé selon deux axes. Un élève de 18 ans, aux savoirs variables sur ce siècle, le comprendra-t-il mieux à l’issue de sa lecture ? Renouvelle-t-il suffisamment l’historiographie pour que les curieux et les amateurs d’histoire l’utilisent ?
D’un point de vue pédagogique, le livre est indéniablement réussi. Chaque chapitre se termine par une bibliographie et une filmographie, des notions et figures à connaître, ainsi que des propositions de sujets pour les étudiants comme pour les enseignants. Les cartes et illustrations ne manquent pas, et le respect de la chronologie permet de comprendre les lentes évolutions, bien que les auteurs relativisent, avec justesse, les conclusions sur un « sens de l’histoire » ou une marche vers plus de libertés ou de droits. Les événements de 1830 et 1848 sont retranscrits avec leurs limites, leurs contrecoups, et le livre évite le syndrome de la trajectoire affectant presque toutes les histoires du xixe siècle : chercher à tout prix les éléments expliquant sa fin violente.
Justement, Delalande et Truong-Loï choisissent de ne pas terminer leur manuel par 1914 et la Première Guerre mondiale, comme presque tous les historiens contemporains le feraient pour clore le xixe siècle, mais autour de 1910, après la révolution des Jeunes-Turcs, pendant la révolution mexicaine et juste avant la création de la République de Chine. Cette décision n’est pas expliquée, le livre se terminant sur une analyse de l’Europe en 1900, à l’issue d’un chapitre sur les inégalités économiques, les nationalismes et les discours antimodernes. Il faut remarquer que l’ouvrage commence bien avant 1789, année elle aussi classique pour dater le début du xixe siècle, mais dès 1765, avec les premières protestations des colons américains face au pouvoir britannique, début de la lutte pour l’indépendance des États-Unis. La thèse des révolutions atlantiques est donc défendue, la Révolution française étant elle-même incluse dans son cadre continental, analysée comme prétexte d’une réorganisation de l’Europe. De fait, l’étudiant découvrant le xixe siècle avec ce livre sortira du découpage presque inattaquable 1789-1914, au fond très français – les Britanniques peuvent avec cohérence étendre leur xixe siècle entre 1800 et 1906.
Les mêmes choix alternatifs se devinent dans les portraits figurant sur les pages de garde : beaucoup de militants et de femmes, d’Africains ou d’Asiatiques, d’écrivains ou intellectuels, et un seul dirigeant politique (Adolphe Thiers). Le manuel inclut, au bénéfice des lecteurs, de nombreuses références sur des points spécifiques de l’historiographie, des recherches récentes ou anglophones. Le chapitre spécifique sur la Chine et l’exploitation économique de ce pays par les puissances occidentales, ou celui, original, sur trois mouvements transnationaux (l’Internationale, les messianismes religieux et l’antisémitisme européen), s’avèrent profondément novateurs. Et cette histoire politique est tout aussi militante, tant les auteurs se concentrent sur les manifestations sociales, l’ascension des idées socialistes, les métissages et les dominations. Constitue-t-elle la meilleure introduction actuelle au xixe siècle ?
Le style n’égale pas Hobsbawm et ses mélanges de petits faits frappants et de grands éléments. Le manuel est plus scolaire et agréable à lire que les œuvres de Berstein et Milza, quitte à paraître trop universitaire. Les étudiants, s’ils veulent enchaîner sur l’histoire du xxe siècle, comprendront-ils le passage entre les deux ères, les ruptures de 1905 (en France, par la loi de séparation des Églises et de l’État), 1906 (au Royaume-Uni, par la victoire des libéraux), 1912 (aux États-Unis, avec l’arrivée de Wilson au pouvoir) et enfin 1914 ? À revenir, avec brio et contextualisation, sur les origines du xixe siècle, Nicolas Delalande et Blaise Truong-Loï risquent d’en négliger les multiples fins.