
Les relations cinématographiques entre la France et la RDA. Entre camaraderie, bureaucratie et exotisme (1946-1992) de Perrine Val
Ce livre explore un sujet peu connu dans l’histoire du cinéma et de l’audiovisuel. Quel cinéphile sait que le seul film réalisé par Gérard Philipe (et Joris Ivens), Les Aventures de Till l’Espiègle (1956), le fut en République démocratique allemande ? Combien d’anciens spectateurs de Bonne Nuit les petits connaissent les origines est-allemandes de ce programme iconique de la télévision française ? Combien d’amateurs de cinéma d’animation connaissent les apports des créateurs de RDA dans ce genre ?
En s’emparant de Berlin et du Brandebourg en avril et mai 1945, les Soviétiques mirent également la main sur les mythiques studios de Babelsberg à Potsdam, lieu propice à l’accueil des tournages. Quatre productions entre la France et la RDA y seront filmées, dont, à la surprise du lecteur, une adaptation des Sorcières de Salem d’Arthur Miller, avec Simone Signoret (Raymond Rouleau, 1957), et une transposition des Misérables avec Jean Gabin (Jean-Paul Le Chanois, 1958). La recherche de vedettes à attirer et de grandes œuvres à adapter, tout en maintenant les scénarios dans la ligne idéologique du régime, habite les artistes et les cadres de la Deutsche Film Aktiengesellschaft (DEFA), le studio officiel est-allemand fondé en 1946 sous le contrôle des autorités soviétiques et des membres du Parti communiste d’Allemagne (KPD). La simple redécouverte de ces projets transnationaux, symbolisant l’amitié culturelle et politique entre la France et un jeune État communiste cherchant à se légitimer par le cinéma, rend novatrice l’étude de Perrine Val, dont le fil rouge demeure la tendance, des deux côtés du Rhin, à la politisation constante des films est-allemands pendant l’existence de la RDA. Les critiques cinématographiques ne peuvent s’empêcher de voir les films est-allemands en se rappelant qu’il s’agit d’œuvres d’un régime communiste, à comparer à tout prix aux longs métrages d’Allemagne de l’Ouest ; et les éloges des productions de la DEFA, provenant souvent de journalistes engagés ou de proches du Parti communiste français, se résument souvent à des louanges partisanes. La politique, voire les oppositions de blocs en temps de guerre froide écrasent tout, malgré des lieux de rencontres comme le Festival du film documentaire de Leipzig ou les semaines du film est-allemand en France.
Perrine Val conclut son étude par une analyse des films réalisés par Jean-Luc Godard, Chris Marker et Marcel Ophüls peu après la chute du mur de Berlin. Ces œuvres signent pour elle la continuité de cet exotisme que les spectateurs, les spécialistes et les créateurs français n’auraient pas pu s’empêcher d’éprouver devant les images créées en RDA pendant plus de quarante ans. La recherche d’une autre Allemagne, d’un contre-modèle au capitalisme, interdirait de voir dans les productions de la DEFA des films comme les autres, parfois bons, parfois trop idéologiques. Le choix de cette considération artistique, de ce respect a priori, sans oublier la critique quand il le faut, pour le cinéma est-allemand, distingue cet ouvrage.