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Notes de lecture

Dans le même numéro

Indignation totale de Laurent de Sutter

janv./févr. 2020

À contre-courant des diatribes habituelles sur la dépolitisation des Occidentaux, le nouveau livre de Laurent de Sutter est un essai sur le triomphe de l’indignation. Connu pour ses ouvrages de société sur l’érotisme et la pornographie, la police et le terrorisme ou encore sa théorisation de la «  pop philosophie  », le professeur de théorie du droit à la Vrije ­Universiteit de Bruxelles réfléchit cette fois aux passions politiques. Notre époque, dit-il, n’est pas celle de l’indifférence : elle est celle du scandale – scandale suscité par des « scènes originaires », avérées (­la publication des caricatures de Mahomet dans un journal danois, la photographie d’un enfant syrien échoué sur une plage turque, l’affaire Weinstein) ou fausses (l’exploitation d’une réserve naturelle guarani par Nestlé). La véracité de ces événements symboliques, explique l’auteur, est même plutôt annexe. « Il suffirait qu’une rumeur laissât entrevoir une vérité autre pour devenir vraie elle-même. » Que l’information soit vraie ou non, la logique du scandale est la même : rassemblement des indignés autour d’un sujet d’indignation, polarisation des points de vue et exclusion des « outsiders » – ceux qui n’ont pas la décence morale de ­s’indigner. Du côté des indignés donc, les détenteurs de la Raison, des disciples autoproclamés de Kant et des Lumières ; de l’autre, les « méchants » ou seulement ceux qui pensent possible de dépasser « ­l’horizon policier » résolument conformiste et exclusif de la Raison. Laurent de Sutter, on l’aura compris, dit se situer dans le second camp. Le titre, ­Indignation totale, en annonce la thèse. Il y a quelque chose de totalisant (totalitaire au sens faible du terme) dans la façon dont la doxa impose le sentiment de l’indignation autour duquel se forme le consensus qui la caractérise. La doxa, aussi pleine de Raison soit-elle, se construit sur la base d’un sentiment moral partagé – celui au nom duquel on s’indigne ; au prix, regrette l’auteur, de l’abandon de la pensée véritable, fille du doute et des sceptiques.

L’Observatoire, 2019
144 p. 15 €

Margaux Cassan

Etudiante en philosophie à l'Ecole Normale Supérieure (PSL), après des études d'histoire de la philosophie à Paris I ainsi qu'en arts du langage à l'EHESS. Margaux Cassan a été assistante de rédaction à Esprit de mai à décembre 2018, et s'intéresse tout particulièrement à la philosophie protestante, en questionnant notamment les notions de foi, de pouvoir et de puissance.…

Dans le même numéro

Le partage de l’universel
L'universel est à nouveau en débat : attaqué par les uns parce qu'il ne serait que le masque d'une prétention hégémonique de l'Occident, il est défendu avec la dernière intransigeance par les autres, au risque d'ignorer la pluralité des histoires et des expériences. Ce dossier, coordonné par Anne Dujin et Anne Lafont, fait le pari que les transformations de l'universel pourront fonder un consensus durable : elles témoignent en effet de l'émergence de nouvelles voix, notamment dans la création artistique et les mondes noirs, qui ne renoncent ni au particulier ni à l'universel. À lire aussi dans ce numéro : la citoyenneté européenne, les capacités d'agir à l'ère numérique, ainsi que les tourmentes laïques, religieuses, écologiques et politiques.