
Le Dilemme des frontières. Éthique et politique de l'immigration, de Benjamin Boudou
Après Politique de l’hospitalité (Cnrs, 2017), Benjamin Boudou poursuit ses réflexions sur la justice migratoire. L’auteur cherche à ouvrir un débat philosophique sur l’immigration qui soit délivré à la fois des émotions partisanes et du cadre des États-nations. En effet, la citoyenneté nationale relègue l’étranger à « l’extérieur » et réduit la frontière à la séparation. L’État-nation ne peut donc pas être une instance satisfaisante de la question frontalière. Son privilège est le produit de divers mouvements philosophiques. Le nationalisme idéologique, défendu par l’utilitarisme, considère que le sentiment d’appartenance à un groupe justifie d’en privilégier les membres sur la scène politique, ce qui revient à nier l’équivalence des vies entre elles. Les théories contractuelles reposent aussi sur l’illusion d’une symétrie entre les contractants dans le « consentement » et la « communauté culturelle ». Le libéralisme, enfin, n’échappe pas à l’incohérence entre sa défense d’un « associationnisme libertarien » et l’exercice d’une politique nationaliste. Les communautariens soutiennent la même fantaisie d’une culture partagée, interne aux frontières. B. Boudou dénonce une situation où, au nom de la communauté, de la démocratie et de la liberté, celles des autres sont bafouées. Comment, dès lors, sortir de cette « logique du consentement » ? Il n’est pas sûr que le sentiment d’appartenance identitaire et culturelle soit un motif assez solide pour motiver seul les expulsions. Le droit de propriété sur les institutions, parce qu’elles traitent de flux internationaux, ne peut être réservé aux seuls nationaux. Précisément, le concept d’hospitalité renvoie à l’imaginaire institutionnel aussi bien qu’à une posture éthique individuelle. Il fournit l’exemple d’une valeur transnationale autour de laquelle pourrait s’instituer un débat véritable dans un « parlement de migrants ». Si conceptualiser, c’est cartographier, comme le souligne B. Boudou dans ce brillant ouvrage, la philosophie politique a manqué le débat sur les frontières en refusant de renoncer à l’échelle étatique. L’hospitalité invite au moins à poser la question en son lieu pertinent, sans prétendre détenir la vérité sur les décisions politiques qui s’imposent.