
Le Droit du plus fort de Marie-Anne Voisard
En 2008, la maison d’édition québécoise et altermondialiste Écosociété publiait Noir Canada, un ouvrage d’Alain Deneault avec Delphine Abadie et William Sacher qui révélait que le pays, loin de son image apaisée, était « à l’industrie extractive mondiale l’équivalent de la Suisse pour les compagnies financières » avec l’Afrique pour proie. Deux sociétés minières ont attaqué les auteurs et leur éditeur en diffamation, et sa directrice des affaires juridiques d’alors publie, dix ans plus tard, cet essai théorique ambitieux. À partir de l’expérience vécue de la procédure – qui n’est pas allée jusqu’au procès, l’ouvrage ayant été retiré de la vente – Marie-Anne Voisard articule une réflexion philosophique appuyée sur les théories critiques du droit, et surtout Foucault. Le droit est un espace de luttes où s’inscrivent les dominations, mais celles-ci ne sont pas qu’une abstraction : elles marquent les esprits et les corps par la durée, l’injonction à une certaine rationalité, les mises en demeure brutales. Marie-Anne Voisard raconte la mise à l’épreuve et en accusation, sur plusieurs années, d’une communauté intellectuelle précaire par deux multinationales maniant la procédure afin de pousser l’adversaire à bout. À ce jeu poli, le mieux doté au départ gagne. Si les idées ne sont pas nouvelles, la puissance d’une illustration vécue et d’une écriture forte en rappelle la permanence.