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Notes de lecture

Dans le même numéro

Comme battements d’ailes. Poésie 1961-1999 de Armand Gatti

octobre 2019

Dramaturge, réalisateur et poète, résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, puis journaliste de terrain (notamment au Guatemala, à l’époque des massacres commis par le régime militaire), Armand Gatti fait de son écriture une réflexion révoltée sur les tragédies de l’histoire et une lutte permanente contre le mot, accusé de circonscrire dans l’espace de ses signes le devenir humain. Témoin de la violence concentrationnaire, le poète décrit une « Europe délirant du délire de tous ses fils/ survivants des autres guerres ». Le poète sent peser sur lui la mort des hommes du passé (« tous tes morts/ J’en ai hérité ») mais constate l’inéluctable mouvement du vivant : « Un homme qui tombe/ C’est la création qui s’écroule/ Mais nous continuons à tourner/ Avec le poids de ceux qui s’en vont. » La brutalité scandaleuse du xxe siècle aurait conduit à une existence faite de solitudes indéracinables, où toute parole serait devenue indicible, inaudible et inutile : « Des milliers d’existences pour tous/ En même temps. Et pour chacun/ Une solitude de planète blessée » et « En chacun, une solitude qui/ Ne sait pas en quelle langue mourir. » Chez Gatti, la révolte contre le réel s’accompagne d’une rixe avec les mots, contre la tyrannie du signifiant. Le mot est accusé de pétrifier l’expérience, de la circonscrire : toute parole est faite de mots-cachots, de mots concentrationnaires qui dévitalisent l’existence. C’est à la poésie, définie comme « assaut du ciel » avec ses propres mots, qu’il incombe de lutter contre l’accaparement de l’existence par les mots-prisons. La poésie de Gatti, lyrique et lucide, tranchante et désabusée, historique et méta­physique, dit toute la difficulté d’être un sujet, d’exister au-delà ou en deçà d’un pronom personnel. « Grands surmenés à paroles d’oiseaux nocturnes », « satellites habités », rêveurs endormis sur des sacs d’outils, les hommes modernes trouvent dans les mots « des être-bouée sur une mer de reflets », qu’ils doivent, à défaut de savoir vivre en haute mer, utiliser pour entamer l’ascension poétique, et pour chaque jour poursuivre « le combat de l’échelle contre le ciel ».

Gallimard, Poésie, 2019
224 p. 9,30 €

Nicolas Krastev-McKinnon

Elève à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon, il étudie la littérature et la philosophie. Assistant de rédaction à la Revue Esprit (2019).

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À mi-mandat du quinquennat d’Emmanuel Macron, le dossier diagnostique une crise de la représentation démocratique. Il analyse le rôle des réseaux sociaux, les mutations de l’incarnation politique et les nouvelles formes de mobilisation. À lire aussi dans ce numéro : Jean-Luc Nancy sur l’Islam, Michael Walzer sur l’antisionisme et François Dubet sur la critique de la sélection.