
L’écho de nos pas
Les Minimalia d’Alberto Nessi réussissent avec brio l’exercice, difficile, de proposer une poésie alliant concision et densité. Les poèmes, majoritairement caractérisés par leur dépouillement, ne manquent jamais de laisser affleurer le monde concret avec gravité, ironie et parfois un certain souci politique.
Si vous êtes lecteur de poésie, vous êtes peut-être comme moi lassé par tous ces recueils dont les poèmes ne dépassent guère trois lignes (ou trois vers), qui confondent murmure et bredouillage, concentration et évaporation du sens, et qui n’ont pas la moindre idée du rythme nécessaire à toute parole poétique ! Aussi, lorsque j’ai lu le titre du recueil d’Alberto Nessi, Minimalia, je fus d’abord fort circonspect quant à sa qualité.
Eh bien, c’était à tort, car cet ouvrage, d’une des grandes voix de la poésie suisse et italienne, est d’une rare justesse. Bien traduits et mis en page avec une belle sobriété dans cette édition bilingue, ces poèmes portent certes tous le sceau de la brièveté qu’annonce leur titre. La plupart ne vont pas au-delà d’un quatrain. Mais leur caractère lapidaire ne se confond en rien avec une quelconque évanescence ni avec le goût de l’abstraction sentencieuse. Au contraire, le monde concret n’en est jamais absent ; il affleure en permanence avec une fine acuité :
La pivoine défaite,
sur la table de la cuisine
ses ongles de velours
Le végétal et l’humain viennent s’éclairer réciproquement :
Il y a blanc et blanc.
Celui du prunelier,
celui du jasmin
il y a le buis pâle
et puis votre visage
de quand vous êtes fatiguées
Ou bien c’est l’attention aux simples déplacements du regard sur le monde qui ouvre à une intériorité renouvelée :
Vue de la fenêtre, la branche
est un détail
vue dans le miroir du cœur,
une compagne de voyage
Voilà déjà de bien grandes qualités. Mais, loin de toute joliesse facile, ce livre est aussi d’une profonde gravité puisque le lieu d’une confrontation, dépouillée de toute afféterie, avec la vieillesse et la mort :
Piétiner les ombres
était un jeu d’enfants sur la place
des tilleuls, à présent ce sont les ombres
qui chaque jour nous piétinent
Banalité, dira-t-on ? Peut-être, mais alors au sens du four banal, du lieu commun que la poésie renouvelle par l’intensité d’une langue dépouillée de tout superflu.
Restera-t-il l’écho de mes pas
quand je descends l’escalier le matin ?
Ajoutons que le souci politique n’est pas non plus absent de ces pages que l’on aurait pu croire entièrement vouées à l’intimité. La menace d’une « troisième guerre mondiale » traverse un poème inspiré au départ par la fuite d’un petit rongeur, « les clandestins » viennent habiter un rêve où « les chiens des garde-frontières sombrent dans les ravins ».
Enfin, la conscience du néant, celui auquel tout mortel est confronté comme celui d’un monde que l’on « désespère de sauver » puisqu’il est celui « où l’on tire sur les enfants », cette conscience n’exclut, par moments, ni une tendre ironie dans l’évocation des amours adolescentes sous « les piliers de l’autoroute » et parmi « le grondement des poids lourds » ni, surtout, cette magnifique reprise du Cantique des cantiques :
Oui, l’amour
Est plus fort que la mort
Un feu de quartz jamais ne s’éteint
Minimalia
Alberto Nessi
Trad. par Christian Viredaz. Préface de Daniel Magetti