
Temps nouveaux au Mexique ?
En juillet 2018, Andrés Manuel López Obrador a été élu président du Mexique à une très large majorité. Dirigeant d’un nouveau mouvement de gauche, le Mouvement de régénération nationale (Morena), héritier d’une tradition de luttes sociales intenses, candidat malheureux aux deux dernières élections présidentielles, Obrador a pu compter sur des alliances parfois contre-nature, mais il a su également mettre en avant les deux thèmes qui sont au cœur des préoccupations des Mexicains aujourd’hui, la corruption et la sécurité. Des thèmes qui ont fait recette aussi dans d’autres pays latino-américains récemment, comme au Brésil avec la victoire de Jair Bolsonaro. Si les thématiques sont les mêmes, les résultats sont bien différents. Le vote pour Obrador s’explique en partie par sa personnalité charismatique et sa rhétorique proche du peuple, mais aussi par le rejet suscité par les deux partis au pouvoir ces dernières décennies – le Parti action nationale (Pan), conservateur, et le Parti révolutionnaire institutionnel (Pri), de centre droit – au sein d’un électorat fatigué par la grande inefficacité de l’État. Plus qu’un simple résultat politique, son élection montre aussi l’évolution profonde de la société mexicaine. La jeunesse en particulier l’a largement plébiscité. Les Mexicains ne veulent plus d’un pays où l’impunité, l’injustice et la violence marquent la vie sociale en permanence : la passivité qui a si longtemps imprégné la mentalité des citoyens n’est plus la seule forme d’ajustement au réel ; les engagements militants ne sont plus un prétexte pour bénéficier d’avantages personnels, comme cela semble avoir été le cas pendant longtemps.
Il est vrai que la situation est critique et que le nombre des assassinats et des disparitions atteint des sommets. Dans de nombreuses zones du pays règne une insécurité profonde, liée à la corruption qui permet à des groupes armés d’opérer en toute impunité. Ces derniers amassent des fortunes grâce au narcotrafic, aux enlèvements contre rançon, au chantage et extorsions en tout genre, et les migrants clandestins sont pris pour cibles privilégiées. L’une des premières mesures, très visible et appréciée des électeurs, a été la guerre déclarée par le nouveau gouvernement aux voleurs de pétrole : le Mexique en est un producteur notoire, mais une partie importante de la production était systématiquement volée depuis les oléoducs qui traversent le pays. Cette pratique courante ne semble pas avoir pu exister sans la participation de dirigeants de Pemex, la société d’État qui en gère l’extraction et la distribution. Le nouveau président a donné des ordres très fermes et l’armée a été déployée pour empêcher ces vols. Les inconvénients qui sont vite apparus (en particulier, une semaine très difficile à Mexico pour se procurer de l’essence) n’ont pas entamé la confiance des citoyens, qui ont approuvé ces mesures. Ils ont apprécié la fermeté des autorités et savent que les réformes qui visent à attaquer la corruption sont nécessaires, mais forcément difficiles.
La politique extérieure a été peu présente dans les débats. Le nouveau président est un homme qui a peu voyagé et les enjeux internationaux ne sont pas pour lui une priorité, à l’exception notable de la relation avec les États-Unis, envenimée par le problème des clandestins. La violence des propos de Trump vis-à-vis des Mexicains a provoqué une union sacrée et le refus des Mexicains de bâtir un mur entre les deux pays a été largement soutenu, par la population comme au sein des différents partis politiques. Au moment d’écrire ces lignes, la relation entre les présidents des deux pays est bonne : le magnat nord-américain n’a pas encore attaqué son voisin sur Twitter et semble même disposé à financer le développement économique de l’Amérique centrale et du sud du Mexique, zones très pauvres dont les habitants cherchent à émigrer par milliers vers les États-Unis.
Souvent présenté comme son dauphin, le nouveau ministre des Affaires étrangères, Marcelo Ebrard, jouit d’une certaine autonomie, et les relations extérieures ne sont pas soumises aux mêmes contrôles que les secteurs du pouvoir que le président tient à superviser en personne. La diplomatie mexicaine a souvent fait preuve d’indépendance au cours du xxe siècle. Sa grande affaire, naturellement, a été la relation avec le grand voisin du nord, envahissant et désireux de compter sur des alliés dociles dans la région. Jamais le Mexique ne s’est aligné, et il semblerait que cette position de principe se confirme pour les années à venir, après une période de moindre fermeté, en particulier sous le gouvernement de Vicente Fox. Les deux voisins, Mexique et États-Unis, sont condamnés à vivre en bonne entente, en particulier en raison de la présence de millions de compatriotes qui sont installés, provisoirement ou définitivement, de l’autre côté de la frontière. L’obsession de Trump et d’une partie de son électorat de construire un mur à la frontière a bien sûr créé des réactions très vives au Mexique et l’entêtement du Président des États-Unis ne fait qu’accentuer les tensions sans pour autant, curieusement, provoquer de conflit ouvert.
L’action extérieure
du Mexique donne
à la culture
un rôle central.
Semblable en bien des points à la diplomatie française, l’action extérieure du Mexique donne à la culture un rôle central. De grands intellectuels en ont été des acteurs célèbres comme Octavio Paz, Alfonso Reyes, Sergio Pitol[1], Carlos Fuentes ou Fernando del Paso. Marquée par un désir de modernité et le refus de s’enfermer dans un classicisme révolu, la nouvelle politique culturelle entend présenter un nouveau visage du Mexique. C’est du moins l’intention affichée. Cette politique devrait faire la part belle au multilatéralisme et aux différents types de réseaux. Pour la première fois, la dimension linguistique est prise en compte, avec un intérêt évident pour créer du lien avec les communautés d’origine mexicaine installées aux États-Unis. La volonté politique est claire et l’outil culturel en est l’instrument. En contrepoint de cette exportation de la culture et de la langue, les nouvelles autorités entendent aussi reconnaître la dette que le pays a contractée envers les peuples et les groupes qui ont émigré au Mexique au cours des cent dernières années. L’histoire leur donne raison ; la dimension culturelle est essentielle pour saisir combien la société mexicaine est plus riche et plus variée que ce que l’on pourrait croire. Reconnaître cette richesse fait aussi partie de l’affirmation moderniste que le nouveau pouvoir entend mettre en avant. Et la culture est bien le moyen choisi pour asseoir cette vision.
[1] - Voir mon « Segio Pitol, excentrique et novateur », Esprit, janvier-février 2019.