
Écologie et démocratie de Joëlle Zask
L’autrice préfère l’idée de “complémentarités” à celle d’“interdépendances” du vivant, qui “pourrait bien mener vers un nouvel utilitarisme”.
Joëlle Zask offre un propos intelligemment radical devant les nécessaires changements d’avenir. En même temps, elle se montre critique des faux-semblants et impasses des appels à enterrer la démocratie pour l’écologie. Sa pensée, transdisciplinaire et ouverte, approfondit la notion de démocratie devant les défis environnementaux.
La philosophe défend une thèse centrale contre les prophètes du malheur appelant à une nécessaire dictature pour résoudre les problèmes écologiques modernes : « Soit la démocratie est écologique, soit ce n’en est pas une, et réciproquement, soit l’écologie est démocratique, soit ce n’est pas de l’écologie. ». Elle souhaite déconstruire un préjugé tenace : « Il y aurait dans l’écologie quelque chose d’apolitique, d’élitiste, voire de punitif, de contraire au désir majoritaire. » Hans Jonas est ainsi favorable à une « autocratie bienveillante » au nom de l’écologie et l’astrophysicien Aurélien Barrau appelle à « des mesures politiques concrètes, coercitives, impopulaires, s’opposant à nos libertés individuelles ». Pourtant, « jamais les régimes autoritaires n’ont adopté de politiques écologiques, sinon sous la pression d’un public démocratique invisibilisé après coup », comme c’est le cas en Chine.
En décrivant la réalité des éco-lieux autogouvernés, Joëlle Zask constate qu’« il existe des liens constitutifs entre les systèmes écologiques et les modes de vie démocratiques ». Plus globalement, on doit « occuper » un lieu, s’attacher à cet espace de vie pour vouloir en prendre soin. Des rappels historiques sur la démocratie viennent compléter la réflexion, de Jefferson aux expériences d’autogestion, dessinant un « esprit public ». S’inspirant de John Dewey, l’autrice écrit : « La conscience écologique dérive de l’engagement concret des individus dans des expériences à leur portée qui les initient à des relations dialogiques avec des choses et des êtres dont ils conviennent qu’ils ne dépendent pas d’eux-mêmes. Autrement dit, cette conscience repose sur les pratiques d’autogouvernement, dont la démocratie comme mode de vie et comme système de gouvernement est la meilleure garante. » Un autogouvernement appliqué à soi-même, loin de la « nébuleuse du développement personnel », liée à la figure de la domination, vise à « extirper tel penchant […] de procéder à la purification de notre âme ». La vie démocratique et les dynamiques de participations permettraient de renforcer ce qu’Amartya Sen appelle les « capabilités » face aux enjeux écologiques.
De plus, l’autrice préfère l’idée de « complémentarités » à celle d’« interdépendances » du vivant, qui « pourrait bien mener vers un nouvel utilitarisme ». En effet, dans notre société de consommation de masse et du spectacle, nous assistons à une « démocratisation » du SUV, symbole de distinction sociale, néfaste pour le climat. Cette accumulation sans bornes n’est pas une figure obligée de nos démocraties, qui peuvent s’orienter vers une certaine frugalité : « La relation entre la culture démocratique et le consumérisme n’a rien de nécessaire. » Néanmoins, la justice sociale reste primordiale sur le chemin vers une révolution démocratique et écologique.
Pour l’autrice, l’amour du pays, plutôt qu’un cosmopolitisme abstrait, fait partie d’une écologie ancrée dans la vie des gens : « Si nous rejetons la conception libérale d’un sujet idéalement hors-sol ou désengagé, comment exprimer l’attachement que nous éprouvons pour notre coin de vie, sans pour autant faire surgir l’imaginaire sous-jacent de l’extrême droite contemporaine ? » Cet attachement au lieu de vie implique une nouvelle conception de la citoyenneté qui préserve et transmette les biens communs d’une génération à l’autre : nous devons devenir des gardiens de la nature.
Dans un dernier chapitre intrigant, la figure du hacker est valorisée comme un parangon de citoyenneté active, sans prendre en considération la pluralité des situations. Il reste que l’ouvrage, proche des défis écologiques concrets, dans la glaise du réel, convainc que l’écologie et la démocratie forment un couple fructueux.