
De la forêt de Bibhouti Bhoushan Banerji
Trad. et présenté par France Bhattacharya
De ce romancier, l’on connaît, en France, principalement les adaptations cinématographiques de ses romans par Satyajit Ray (La Trilogie d’Apu). De la forêt : en bengali Aranyaka ou traité forestier que l’on récite loin des villes et qui contient des explications, plus ou moins ésotériques, des mantras. Il s’agit d’un roman, grandement autobiographique, dont le sujet est la forêt encore sauvage, sorte de wilderness indienne. Bibhouti Bhoushan Banerji (1894-1950) a suivi des études de droit et de philosophie à Calcutta, tout en travaillant car il était d’un milieu peu aisé. Il se marie en 1917 et, deux ans plus tard, son épouse meurt. Il quitte la grande ville pour exercer le métier d’instituteur avant d’accepter un poste de régisseur adjoint d’un vaste domaine forestier dans le Bihar, où il rédige La Complainte du sentier, publiée en 1929, qui lui ouvre les portes des revues et des maisons d’édition. Il vit de sa plume et son œuvre comprend plus de quarante romans et plusieurs recueils de nouvelles. De la forêt paraît dans le mensuel Prabasi et en 1938 en volume. Cet ouvrage n’est pas à proprement parler un roman, mais plutôt une série de saynètes vécues par Satyacharan, le narrateur, de « choses vues » dirait Victor Hugo. Homme de la ville, le régisseur se retrouve dans un monde inconnu : aussi bien la végétation luxuriante et parfois inquiétante, la population très pauvre qui survit tant bien que mal, grâce à sa connaissance de la nature locale, rude et exigeante, que les animaux sauvages, comme le tigre, qui n’hésite pas à s’attaquer aux humains qui le redoutent. Croyances d’un autre âge, pratiques sociales décalées, comportements brutaux et qui pourtant ne sont pas dénués de toute humanité, qui impressionnent le régisseur. Il inspecte, à cheval, le vaste domaine, attribue telle ou telle parcelle à un fermier, surveille l’entretien de la forêt, doit donner son avis sur tel conflit entre villageois, arbitrer entre administration et administrés, etc. Au-delà d’une plongée ethnographique dans un monde en voie de disparition, l’auteur décrit magnifiquement bien la jungle encore intacte avant son altération dont il observe les premiers balbutiements. En cela, cet ouvrage sur la forêt, en tant qu’unité écosystémique, s’apparente aux récits de Henry David Thoreau, de John Muir ou de Jack London. Le lecteur suit le narrateur qui le guide dans ses voyages : « Le métayers qui prendraient des terres en fermage ne le feraient pas pour conserver intacte la forêt, qu’ils défricheraient aussitôt pour y cultiver leurs récoltes, y construire des maisons où habiter. Cette belle étendue déserte, les forêts, l’étang, cette chaîne de collines, tout se transformerait en colonies humaines. Effrayées par la foule, les déesses sylvestres s’enfuiraient et, avec l’arrivée des hommes, l’enchantement de la forêt disparaîtrait, toute beauté perdue. » C’était il y a depuis près d’un siècle, l’Inde urbaine, surpeuplée, mécanisée, étouffe dans ses bidonvilles comme dans ses gated communities et ne peut plus répondre à un éventuel appel de la forêt.