
La sterne rouge d'Antonythasan Jesuthasan
Trad. par Léticia Ibanez
Né en 1967 au Sri Lanka, Antonythasan Jesuthasan, alias Sobasakhti, s’engage adolescent dans le mouvement indépendantiste des Tigres tamouls, fondé en 1976 et visant à l’autonomie de l’Eelam, où vivent majoritairement les Tamouls. Puis, il vit à Hong Kong et en Thaïlande, avant de rejoindre clandestinement la France. Là (il réside à Sevran), il se débrouille tant bien que mal pour survivre, commence à écrire et, en 2011, devient acteur pour un film tamoul, puis en 2015 tourne Dheepan de Jacques Audiard et obtient le César du meilleur acteur. Depuis, il ne cesse d’être sollicité par le septième art, tout en publiant des romans.
La Sterne rouge est un captivant roman épique, qui retrace à grands traits l’histoire du Sri Lanka et décrit les innombrables discriminations que subissent les Tamouls, à commencer par l’éradication de leur langue, au profit du cingalais. En arrière-fond se déroule le drame des Tigres tamouls, jusqu’à leur quasi-massacre de 2009 par les troupes gouvernementales.
Plusieurs courts récits biographiques s’entremêlent pour donner corps à celui du personnage principal, Ala, jeune fille qui rejoint la guérilla tamoule, est amoureuse du général, prépare un attentat-suicide, est arrêtée, violée, torturée, condamnée à trois cents ans d’emprisonnement, sauvée par une association caritative internationale qui obtient sa grâce, se marie avec un Tamoul exilé qui perpétue le combat via une radio qui émet en tamoul ; il se révèle brutal et autoritaire, la frappe et l’enferme. Elle met au monde un garçon, ce qui n’améliore en rien sa condition de prisonnière infantilisée…
Je ne raconte pas la fin, ou plus exactement les fins que suggère l’auteur avec brio. Le lecteur est pris dès les premières pages et ne lâche le livre, bouleversé, qu’avec regret, tant le ton, l’écriture et la construction sont maîtrisés. Il va sans dire que la traduction s’avère remarquable. Le destin de cette jeune femme est incroyable : une famille aimante mais pauvre et divisée (père absent, grand-père harceleur…) ; les humiliations régulières tant au village qu’à l’école ; la vie frugale dans le maquis ; quant à la prison, on ne peut imaginer pire… Pourtant, il se dégage de cette histoire une incontestable force, celle de l’engagement de l’héroïne qui, malgré ce qui l’accable, ne perd jamais espoir.