
La tâche de l’architecte de Franco Mancuso
Trad. par Christophe et Esther Carraud
Franco Mancuso nous apprend à approcher la partie lisible et sensible de la ville comme celle plus cachée et souvent insaisissable, toujours avec la conviction que plus la ville se développe de façon organique et plus elle sera compréhensible pour ses habitants, leur permettant d’y découvrir et déployer des modes de vie simples et directs.
Les Éditions Conférence publient un riche volume réunissant des articles et interventions de l’architecte et urbaniste italien Franco Mancuso. Formé dans les années 1957-1963 à l’Institut universitaire d’architecture de Venise, l’auteur consacre une étude à l’évolution des enseignements qui y sont dispensés ainsi que sur les figures qui façonnent sa conception de la ville européenne moderne. Ainsi s’organise plus d’un demi-siècle de réflexions, nourries d’une expérience professionnelle ouverte sur les différentes cultures aux origines des grandes villes, aujourd’hui mondialisées, et d’un enseignement attentif au développement organique de la ville au cours de son histoire, mettant ainsi en lumière les moments où cet équilibre organique est menacé ou rompu. S’il est question, entre autres, de Barcelone, de Tokyo, de Séoul ou encore de Jérusalem et de la ville du Cap en Afrique du Sud, pour Franco Mancuso, la leçon fondatrice reste celle enseignée par sa ville natale : Venise, la Sérénissime.
La première section du livre, intitulée « Entre architecture et urbanisme », s’ouvre par un remarquable article sur « le zonage », le découpage administratif de l’espace. Dès son apparition en Allemagne à la fin du xixe siècle, cette technique est immédiatement promue comme un modèle de rationalité de la ville aux États-Unis, puis en Angleterre et en Europe jusqu’en Russie. Le plan d’urbanisme devient alors l’élément déterminant, agissant « sur le tissu social et économique de la ville », pour ensuite faire apparaître sur les cartes « une caractérisation sociale pointilliste ». Mais il faut une autre lecture pour comprendre certaines villes d’Afrique ou d’Asie. Les exemples de Séoul et surtout de Kyongju mettent en évidence une ville ancienne, puissante et riche, quasiment disparue, dont il ne reste que quelques monuments épars (temples, pagodes, grottes, statues, mais aussi jardins). « Des ouvrages qui sont immergés dans le paysage plus qu’ils ne le dominent, comme éléments essentiels de l’environnement naturel », font ainsi de Kyongju « une ville cachée unique au monde ».
Ces réflexions sont menées avec patience et pugnacité contre « les valeurs formalistes et abstraites, accessoires et autoréférentielles » d’une certaine architecture moderne. Franco Mancuso nous apprend à approcher la partie lisible et sensible de la ville comme celle plus cachée et souvent insaisissable, toujours avec la conviction que plus la ville se développe de façon organique et plus elle sera compréhensible pour ses habitants, leur permettant d’y découvrir et déployer des modes de vie simples et directs. L’architecte sait nous faire partager ses découvertes urbaines généreuses, rappelant au passage une remarque de son collègue japonais Fumihiko Maki : « La création en architecture, c’est découvrir, pas inventer. »