
Réponse à Nino Fournier
Suite à la réponse de Nino Fournier, Bernard Perret prend acte du désaccord et souligne qu’il devient urgent de lutter contre les ravages politiques d’un manque de culture scientifique et épistémologique.
Nino Fournier ne croit pas que les « vérités pures, scientifiques, nous obligent et nous contraignent », et il est d’accord avec Foucault pour dire que la vérité « n’est pas une Idée régulatrice qui nous oriente ». Je suis en total désaccord avec lui sur ces deux points. À court terme, certes, « la vérité seule n’est pas déterminante » dans l’arène politique, mais il n’en va pas de même à moyen terme ! Il devient de plus en plus difficile pour les responsables politiques d’ignorer que les prévisions du Giec sont régulièrement (et désormais rapidement) confirmées par des faits massifs qui les contraignent d’agir (voir ce qui se passe dans les villes du littoral menacées par le recul du trait de côte). Distinguer le certain du probable, de l’hypothétique et du douteux, l’important de l’accessoire, oblige à entrer dans les raisonnements des scientifiques et à se colleter laborieusement aux données. L’expression « régimes de vérité » sociologise abusivement la question de la vérité et laisse croire qu’on peut s’en dispenser.
Nous devons transformer un savoir solidement fondé en consensus politique, c’est tout le sens des adresses de Greta Thunberg aux dirigeants du monde : « Vous devez écouter la science. » Si l’on en juge par son impact, ce message ne manque ni de sens, ni d’efficacité (même si, bien sûr, il ne peut à lui seul changer la donne). Le fait que les scientifiques n’aient pas suffisamment dialogué avec la société ne prouve rien. L’autocritique, l’acceptation de la controverse et l’ouverture à tous les points de vue ne sont pas des impératifs extérieurs à l’esprit scientifique : ce sont bien plutôt des exigences inhérentes à la raison scientifique elle-même, laquelle ne peut être que réflexive – ce qui ne l’empêche pas de viser l’objectivité, c’est-à-dire une forme de transcendance par rapport aux opinions et aux intérêts.
A contrario, affaiblir si peu que ce soit l’idée que la science est capable de produire des vérités contraignantes – des vérités qui devront tôt ou tard être prises en compte au nom d’un simple principe de réalité – ne peut que faciliter la tâche des semeurs de doute. Les effets du climato-scepticisme ne sont certainement pas sans lien avec la confusion des esprits résultant d’un glissement trop facile de la mise en cause (justifiée) du pouvoir des experts et du dogmatisme scientifique à la désinvolture (par incompréhension et/ou snobisme intellectuel) à l’égard des fondamentaux de la démarche scientifique. Pour beaucoup de gens, seulement comprendre qu’il existe des degrés dans l’incertitude affectant tout résultat scientifique dans un domaine aussi complexe que le climat ne va pas de soi. On l’a vu pendant la pandémie : il devient urgent de lutter contre les ravages politiques d’un manque de culture scientifique et épistémologique.
Dans leur excellent livre Science et prudence (Presses universitaires de France, 2022), Dominique Bourg et Nicolas Bouleau ne disent pas autre chose : « Se mobiliser sur la question climatique présuppose que les résultats et prévisions des sciences du climat ne relèvent pas d’une construction arbitraire du savoir, une pure convention. Ces connaissances nous permettent bien d’accéder à une forme transcendante et ferme du savoir, à un noyau de réalité qui ni nos sens, ni des constructions oiseuses ne sauraient nous donner. […] Dire, comme l’affirme encore aujourd’hui Latour, que nous avons affaire avec le climat à un problème politique de part en part est absurde. Certes, le dérèglement climatique résultant de choix politiques, et plus encore de civilisation, le combat qu’il appelle devrait être politique, mais les connaissances qui permettraient de le mener ne sont pas politiques, elles ne résultent pas d’affrontements et de compromis d’intérêts et de valeurs1. »
- 1. Dominique Bourg et Nicolas Bouleau, Science et prudence. Du réductionnisme et autres erreurs par gros temps écologique, Paris, Presses universitaires de France, 2022, p. 53.