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Erdogan arrive au sommet de l’Otan à Bruxelles en juillet 2018 (photo Otan)
Erdogan arrive au sommet de l'Otan à Bruxelles en juillet 2018 (photo Otan)
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Erdoğan, un dictateur bientôt réélu ?

Même si les couches populaires turques sont insatisfaites sur le plan économique, elles sont résignées face à la crise et ne voient aucune alternative à Erdoğan, qui gère toute l’ingénierie électorale. 

À bien des égards, l’année 2023 est importante pour la Turquie : centenaire de la République, elle constitue également une année électorale. Cette coïncidence est l’une des raisons pour lesquelles le président Recep Tayyip Erdoğan pourrait être réélu. En effet, le président ferait ainsi comprendre au pays et au monde que la « Nouvelle Turquie », par opposition à l’ancienne créée par Mustafa Kemal Atatürk, est désormais consolidée et qu’elle est là pour rester. Symboliquement, une telle issue constituerait le terme de la désoccidentalisation du régime et acterait la prépondérance d’Erdoğan sur Atatürk.

Premièrement, Erdoğan est obligé de remporter ces élections pour des raisons personnelles ; sinon, il serait vraisemblablement traduit devant la cour martiale pour répondre à des accusations de corruption et d’innombrables violations de la Constitution et des lois pendant ses vingt ans de mandat. Il est également menacé par la Cour pénale internationale pour ses campagnes militaires dans les pays voisins. Il ne peut simplement pas prendre autant de risque.

Deuxièmement, l’opposition, à l’exception notable du Parti démocratique des peuples (HDP, pro-kurde), est incapable de s’unir derrière une candidature forte. Aucun leader n’a pu émerger pour contrebalancer le charisme indéniable d’Erdoğan, qui s’étend au-delà de sa propre base électorale. Malgré cela, la récente parodie de justice qui a virtuellement écarté le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoğlu, de la compétition électorale en dit long sur la volonté d’Erdoğan de ne prendre aucun risque, même minime. De plus, le « programme » de gouvernement de l’opposition se réduit à deux points : se débarrasser d’Erdoğan et éviter d’être vu en train de former une coalition avec le HDP (et les Kurdes en général). Cela ne va évidemment pas suffire à satisfaire les couches populaires mécontentes, en particulier les jeunes. Enfin, le maillon faible de l’opposition, le Bon Parti (IYI, ultranationaliste), qui n’est qu’un avatar du Parti d’action nationaliste (MHP, nationaliste), le partenaire de coalition du Parti de la justice et du développement (AKP, le parti islamo-conservateur d’Erdoğan), peut changer de camp.

Troisièmement, la base électorale d’Erdoğan, dont les motivations ne peuvent se limiter au clientélisme et à la charité institués par le régime, approuvent les politiques non démocratiques et les manières dictatoriales du gouvernement. Même si les couches populaires sont insatisfaites sur le plan économique, elles sont résignées face à la crise et ne voient aucune alternative à Erdoğan.

Quatrièmement, les dynasties pétrolières du Moyen-Orient, ainsi que la Russie de Poutine, qui y voit notamment une occasion de semer la discorde au sein de l’Otan, se sont engagées à soutenir Erdoğan et l’économie turque en grande difficulté. Les montants exceptionnellement importants des « erreurs et omissions » dans les comptes publics en témoignent. Évidemment, les « anti-démocraties » ne sont pas les seuls pays à soutenir Erdoğan1. Les démocraties occidentales le soutiennent indirectement en « comprenant » le comportement agressif et autocratique du régime, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, en raison de fictives « préoccupations légitimes en matière de sécurité nationale », principalement pour le maintien de la Turquie au sein de l’Otan. Les extravagances d’Erdoğan, son éternelle victimisation, ses menaces envers la Grèce et ses opérations militaires contre les Kurdes sont toutes « compréhensibles » pour les pays occidentaux.

Cinquièmement, Erdoğan gère directement l’ensemble de l’ingénierie électorale. Il a placé des juges en faveur du régime au Haut Conseil électoral (YSK). Le président du Conseil, Muharrem Akkaya, est à l’origine de la décision d’annuler en première instance l’élection à la mairie d’Istanbul du candidat de l’opposition Ekrem Imamoğlu en mars 2019, accédant ainsi à la demande du régime. Le régime va également nommer tous les présidents des commissions électorales, qui pourront refuser des candidatures sous n’importe quel prétexte, laissant ainsi les partis d’opposition sans candidats dans de nombreuses circonscriptions. Les manœuvres destinées à bannir le HDP vont dans le même sens. Quant au dépouillement des votes, le Conseil électoral supérieur s’est associé à une entreprise  spécialisée dans les systèmes informatiques intégrés de défense, Havelsan, qui appartient à la Fondation pour le renforcement des forces armées turques2. Le comble est qu’il sera exclu de faire appel des décisions du Conseil. 

De plus, la présence continue de Süleyman Soylu au ministère de l’Intérieur et la reconduction d’un loyal serviteur d’Erdoğan, Bekir Bozdağ, à la Justice, sont des atouts pour contrôler le système électoral et le pays. L’attaque terroriste meurtrière dans le centre d’Istanbul, le 14 novembre 2022, donne un aperçu de la violence potentielle. Les bandes armées semi-officielles du régime seront, elles aussi, prêtes à intervenir pendant la saison électorale.

Enfin, le régime est conscient du faible soutien qu’il recueille auprès de ce qu’on appelle la « génération Z », sensible au changement climatique, à l’action écologique, aux droits des LGBTIQA+, aux droits des animaux, etc. C’est dans ce contexte qu’on peut comprendre l’obstination du ministère de l’Intérieur à empêcher la création du parti vert, ainsi que la nouvelle loi sur la censure des réseaux sociaux. La campagne électorale sera, une fois de plus, favorable au régime en raison d’un accès privilégié à la principale source d’information des Turcs, les chaînes de télévision.

Erdoğan est devenu un dictateur élu, après le changement de régime vers un système présidentiel sans freins ni contrepoids, survenu en 2018. Les citoyens qui n’ont pas voté pour lui ronchonnent, mais finissent par s’incliner, sous le désespoir, devant le dictateur et son régime.

 

  • 1. Voir Hamit Bozarslan, Les Anti-démocraties au xxie siècle. Iran, Russie, Turquie, Paris, CNRS Éditions, 2021.
  • 2. Créée en 1987, la Türk Silahlı Kuvvetlerini Güçlendirme Vakfı (TSKGV) est une fondation de droit privé qui assure la participation et le contrôle de l’armée turque sur les industries de défense. Le chef de l’État en dirige le conseil d’administration.