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Crédits photo : Canva
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L'avenir de la ferme France

Alors que les défis auxquels il doit faire face sont bien connus, le modèle agricole français est dans une impasse. Le débat est devenu impossible  entre des agriculteurs encore largement formés au productivisme et les tenants de l’agriculture durable, tandis que les pouvoirs public n’offrent pas de perspective claire.

La Bretagne perd trois cent cinquante vaches laitières par jour et lorsque l’on traverse la région, force est de constater que les prairies sont remplacées par des cultures de blé ou de maïs. Les végétariens et les végans se réjouissent quand, par ailleurs, il devient paradoxal d’importer du lait et de voir les pâturages, garants de la biodiversité, disparaître au profit de cultures intensives grandes consommatrices d’eau.

Nous pourrions multiplier les exemples des impasses dans lesquelles se débat l’agriculture française. Comme la nuance est désormais malvenue dans le débat public, il est impossible de poser sereinement le débat entre des agriculteurs formés depuis longtemps au productivisme et les tenants de cultures et d’élevages raisonnés. Il ne faut cependant pas sous-estimer la souffrance du monde paysan. Quand, dans les lycées agricoles, à de rares exceptions, on continue d’enseigner comme si de rien n’était, quand la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles est devenue un second ministère de l’Agriculture et que les politiques sombrent dans le triangle Crédit agricole-Coopératives-Syndicat majoritaire, « la ferme France » ne sait plus où se situe son avenir, déshéritée de son histoire et privée d’une vision claire des pouvoirs publics.

L’agriculture française vieillit. Le nombre de ses agriculteurs est passé de 1, 6 millions en 1980 à moins de 400 000 aujourd’hui, dont la moitié va prendre sa retraite d’ici dix ans. Les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural disposent d’un droit de préemption sur la vente de terres agricoles. Hormis le fait qu’elles ont largement favorisé l’agrandissement des grandes exploitations déjà existantes, elles se voient contournées par des sociétés opaques – parfois chinoises, comme dans l’Indre – qui mettent main basse sur les terres. L’État répugne à l’adoption d’une grande loi foncière, pourtant nécessaire si l’on souhaite proposer à de jeunes exploitants des possibilités d’exploitation.

On a par trop idéalisé la ferme familiale, reposant en grande partie sur le travail non rémunéré des grands-parents et des femmes, un surtravail des chefs d’exploitation.

Il est fini le temps de la ferme familiale : « Beaucoup d’exploitations classiques, prises dans leurs contraintes, ne peuvent opérer de conversion, tandis que des nouveaux entrants, sous des formes d’organisations plus fluides, arrivent à mettre en place des itinéraires techniques vertueux1 ». On a par trop idéalisé la ferme familiale, reposant en grande partie sur le travail non rémunéré des grands-parents et des femmes, un surtravail des chefs d’exploitation. Les jeunes générations veulent vivre différemment et l’on voit, par ailleurs, se développer le salariat, mieux adapté au mode de vie moderne.

Les manifestations des betteraviers du Nord contre la loi européenne interdisant les néonicotinoïdes, la violence autour des bassines à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, les oppositions au film sur les algues vertes dans la baie de Saint-Brieuc… : on voit que le cadavre d’une agriculture productiviste bouge encore. Quand on évoque la violence accompagnant les mutations du monde rural, il ne faut certes pas oublier que celles de Sainte-Soline sont le fait d’éléments venus d’ailleurs, mais aussi que, par le passé, les manifestations d’agriculteurs se terminaient par des dépravations devant les préfectures sans que personne ne songe à engager des poursuites juridiques. La violence regagne nos campagnes. Pour la deuxième fois en deux ans, la journaliste à Radio Kreiz Breizh, Morgan Large, a vu sa voiture sabotée, elle qui enquête depuis de nombreuses années sur l’agro-industrie, la santé et l’environnement. Les menaces sont de plus en plus prégnantes sur ceux qui s’efforcent de penser autrement, quand elles ne passent pas aux actes.

Partout se développent des initiatives pour produire différemment. Il suffit d’écouter le midi, sur France Inter, Carnets de campagne de Dorothée Barba pour mesurer combien le désir d’une agriculture à bas carbone suscite une multitude d’initiatives. Celles-ci sont peu ou pas soutenues, nos dirigeants répugnant à accompagner le local, se contentant de demi-mesures, comme le prouve la décision timide de réduire de 20 % seulement les nitrites dans la charcuterie. Pire, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a, toute honte bue, décidé de revenir sur la possible interdiction de l’herbicide S-métolaclore, utilisé à souhait pour le maïs, le soja et le tournesol, et pourtant démontré cancérigène par l’Agence de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail !

En France, l’agriculture émet 19 % des gaz à effet de serre. Les engrais minéraux sont de gros émetteurs de dioxyde de carbone et de protoxyde d’azote. Il est indéniable que beaucoup ont réduit l’utilisation des engrais de ce type, mais on pourrait s’engager plus avant dans la démarche, en reconnaissant à la terre sa richesse en bactéries et micro-organismes. La vie microbienne du sol s’en trouverait enrichie et la biodiversité protégée.

La biodiversité est dans un état de catastrophe avancée. Les insectes se font de plus en plus rares ; quant aux oiseaux, on ne devrait plus constater les espèces disparues, mais remarquer « ceux qui restent ». Les grandes déclarations gouvernementales ne sont pas suivies d’effets au nom de la souveraineté alimentaire, de la contribution de l’agriculture à l’équilibre de la balance commerciale, mais surtout parce qu’elles témoignent d’une méconnaissance de nos campagnes. Beaucoup de soutiens des produits bios sont des rats des villes qui ignorent la condition de l’agriculteur moyen, qui n’en peut plus des injonctions paradoxales qui s’abattent sur lui à longueur de journée. Comme toujours, à des questions complexes, l’administration répond par des surcroîts de complexité, qui finissent par décourager les plus vertueux. Ils ne sont pas fous nos paysans : ils voient parfaitement que les donneurs de leçons des grandes agglomérations sont les mêmes qui, issus de milieux privilégiés, vont les vilipender, tout en bénéficiant d’un art de vivre par lequel on voyage régulièrement en avion et la résidence secondaire des parents sur la côte est largement exploitée. Ils se vivent comme « une queue de nuage », révoltés ou désemparés, sans qu’aucune perspective ne soit proposée.

Nul besoin d’un grand débat sur l’avenir de l’agriculture. On sait ce qu’il advint de Assises de l’alimentation présidée par le ministère de l’Agriculture et non celui de l’Écologie, ou celui, caricatural quant à la trahison des engagements du président de la République, de la Convention citoyenne sur le climat. Ici ou là, des rencontres s’organisent pour tenter de réconcilier les parties. Mais les chambres d’agriculture, qui devraient être motrices de ce type de débats, sont encore corsetées par les céréaliers notamment, qui restent, en outre, les grands bénéficiaires des fonds européens2.

La question de la gestion des ressources en eau devrait mettre tout le monde d’accord. Sauf que, devenue rare, son besoin vital provoque un conflit majeur de partage de la ressource et que notre culture politique est incapable, là comme ailleurs, d’entendre la parole des gens. Les mutations du monde rural sont le plus souvent subies sans être débattues. D’où un ressentiment profond de nombre d’agriculteurs, dont la Confédération paysanne tente de se faire l’écho.

On peut rêver d’un ministre de l’Écologie qui coifferait le ministère de l’Agriculture dans un ensemble qui deviendrait une priorité de l’État pour sauvegarder la terre. Les prévisions du Giec montrent que l’on sera contraint à l’austérité. Le monde rural n’est pas sourd à ces préoccupations, il demande à être accompagné, surtout en termes de reconnaissance des tentatives de sortir des injonctions paradoxales. C’est à ce prix que des jeunes, ruraux ou pas, s’engageront dans les métiers agricoles, en tentant, contre les vents, de promouvoir les enjeux d’un monde commun à l’homme et à la nature.

 

  • 1. Bertrand Hervieu et François Purseigle, Une agriculture sans agriculteurs. La révolution indicible, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2023.
  • 2. À ce titre, l’élection, à la tête de la FNSEA, d’Armand Rousseau, n’augure rien de bon pour un avenir désirable de l’agriculture. Grand céréalier, président du groupe Avril, l’un des plus puissants du complexe agro-alimentaire, il s’inscrit dans la droite ligne de celle à qui il succède, Christiane Lambert, imperméable aux évolutions nécessaires.

Jacques-Yves Bellay

Essayiste et romancier, il a récemment publié Ne dis pas tout à la mémoire (Yellow Concept, 2020), livre pour lequel il a obtenu le Grand Prix du roman des écrivains de Bretagne. Son dernier roman, C'est énorme la vie, est paru en mars 2023 chez le même éditeur.