
Narcisse exaucé, ou les illusions de la résilience
Popularisé par les travaux de Boris Cyrulnik, le concept de résilience défend, sous un manteau de bienveillance, la position d’une liberté absolue du sujet, démiurge de son identité. Son succès actuel repose sur la valorisation de l'autonomie individuelle et de l'intégration de la norme dont il est porteur.
Le 17 mars 2022, le magazine Time mettait à la une Valeriia, une petite fille ukrainienne, sourire aux lèvres et pieds dansants, dans une photographie de JR déployée par des dizaines d’individus lors d’une émouvante performance artistique. En dessous d’elle, un titre : “The Resilience of Ukraine ” Non pas la « force » de l’Ukraine, ni son « obstination », son « courage » ou encore son « irréfragable optimisme », mais sa « résilience », alors même que l’épreuve n’est pas encore passée, que les combats sont loin d’être terminés. Plus personne ne semble relever l’usage étrange (beaucoup plus ancien et fréquent néanmoins en anglais) du terme de résilience. Or nul n’est sans constater la formidable inflation qu’a connu l’usage de ce terme en France, dont les derniers exemples le plus flagrants semblent être la loi « Résilience et climat » d’Emmanuel Macron et le plan de « résilience économique » présenté par Jean Castex. À chaque fois, le terme semble désigner une sorte d’élan positif et constructif, pour rester dans le même champ sémantique, permettant d’aller de l’avant vers des lendemains qui chantent. En somme, il s’agit de s’acheminer vers « la meilleure version » de soi-même, de l’économie, du monde, par l’effet performatif d’un mot dont le sens demeure obscur. Peut-être vaut-il alors la peine de l’éclairer un peu.
Retrouver la forme
Le terme de résilien