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Atlantique de Mati Diop (Les films du Bal/Ad Vitam)
Atlantique de Mati Diop (Les films du Bal/Ad Vitam)
Flux d'actualités

Atlantique de Mati Diop

Un film de fantômes sénégalais, essentiellement en wolof, a gagné le Grand Prix à Cannes : signe des goûts changeants à Cannes, ainsi que de la mondialisation multiforme du cinéma.

En recevant le Grand Prix au dernier Festival de Cannes, Mati Diop est devenue la cinéaste d’Afrique noire la mieux récompensée en soixante-treize ans d’existence de ce rendez-vous (Chronique des années de braise, film algérien de Mohammed Lakhdar-Hamina, reste le seul film africain à avoir reçu la Palme d’Or, en 1975), rejoignant Souleymane Cissé (Yeelen, 1987) et Mahamat Saleh Haroun (Un homme qui crie, 2010) parmi les rares cinéastes non maghrébins de ce continent primés à Cannes. De plus, la diffusion du film sur Netflix dans presque tous les pays sauf la France, le Benelux, la Suisse, la Chine et la Russie devrait assurer une visibilité accrue pour son premier long métrage. Au-delà de cette diversité bienvenue dans le succès critique et festivalier, Atlantique surprend, en ce qu’il incarne le triomphe d’un film de genre africain, surprenant sensuellement le spectateur, à Cannes, comme un signe des goûts changeant des cinéphiles et des distributeurs.

Dès les premières minutes, la salle se voit en effet envahie par le travail sonore proposé par Mati Diop et son ingénieur du son Benoît de Clerck. Le chantier, le trafic routier, le train de fret, la boîte de nuit : le paysage urbain et humain entoure les spectateurs, comme un premier signe de la volonté de la réalisatrice de nous marquer. Visuellement, une esthétique de l’étrangeté rappelant celle de Nicolas Winding Refn parcourt le film : maîtrise de la lumière nocturne et simplicité des cadres par des plans fixes accrochant l’œil. L’ensemble est rendu énigmatique par la musique en motifs répétitifs de Fatima Al Qadiri, dont les apparitions, souvent en fond du soleil couchant, crée une impression mythologique sur les images éclairées par Claire Mathon ; la répétition des vagues paraît accentuée à l’oreille, et le surnaturel apparaît ainsi comme une réelle surprise.

Loin d’être un simple film politique métaphorique sur la crise migratoire ou les rapports Nord-Sud, il s’agit avant tout d’un film fantastique, où les esprits des morts viennent, de nuit, posséder les vivants et réclamer justice ou porter des derniers messages. Le sens d’esprits de jeunes migrants disparus en mer hantant ceux restés à terre et s’incarnant dans leurs corps peut certes s’interpréter comme l’irruption des drames de l’immigration dans la réalité, mais nous y voyons avant tout un élément fantastique, d’autant plus cohérent que Diop dépeint, en fil rouge de son scénario, l’islam sénégalais comme prompt au spiritualisme, par les craintes ou plaisanteries des personnages autour des djinns ou la convocation d’u marabout pour guérir une des héroïnes de sa possession par un esprit. Si nous pouvons penser à Ulysse s’enchaînant au mât, ou à David Lynch, chez qui les figures officielles servent souvent d’hôtes aux fantômes ou au mal, lorsque le policier interprété par Amadou Mbow se menotte à un radiateur pour ne pas être victime de l’esprit de Suleiman, le cadre de l’action, l’imaginaire qu’il soutient, appartient bien proprement à Mati Diop et au Sénégal.

Ce qui demeure remarquable dans Atlantique et son succès international annoncé est qu’un film de fantômes sénégalais, essentiellement en wolof avec quelques répliques en français, a gagné le Grand Prix à Cannes. La deuxième récompense du plus prestigieux festival de cinéma attribuée à un vrai film de genre et à une femme franco-sénégalaise, pour un récit de fantômes et de possession en banlieue de Dakar ! Signe des goûts changeants à Cannes, ainsi que de la mondialisation multiforme du cinéma : un thriller sud-coréen (Parasite), un film d’action dans le sertão brésilien (Bacurau) ou la comédie d’un acteur palestinien (It must be heaven) se sont ainsi partagés les principaux prix lors du festival de 2019. En sortant de la séance, nous comprenons que, en étant africain, francophone, sénégalais et wolof, le film de Mati Diop est bien atlantique, de portée transcontinentale, pouvant plaire à tous les publics.