Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

© 2019 Warner Bros. Entertainment Inc.
© 2019 Warner Bros. Entertainment Inc.
Flux d'actualités

Le Cas Richard Jewell

Un appel à la décence personnelle rejoint l’exigence, d’essence conservatrice mais de visée universelle, d’un gouvernement exemplaire et respectueux des libertés individuelles.

Le Cas Richard Jewell, histoire vraie d’un agent de sécurité faussement accusé d’avoir posé la bombe de l’attentat au Centennial Park pendant les Jeux Olympiques d’Atlanta, le 27 juillet 1996, peut à première vue s’analyser comme une nouvelle œuvre conservatrice de Clint Eastwood. Discours anti-gouvernementaux et critiques de la rapacité des médias y abondent. Pour autant, l’humanisme constant de sa filmographie demeure ici, dans le portrait d’un individu se retrouvant, sans l’avoir demandé, sous le feu des projecteurs. En cela, le long métrage paraît compléter une « trilogie des héros ordinaires », après Sully (2016, sur le pilote de ligne ayant réussi à poser son avion en perdition sur le Hudson le 15 janvier 2009) et Le 15H17 pour Paris (2018, à propos des trois touristes américains s’étant interposés lors d’un attentat dans un Thalys le 21 août 2015). Bien que ces trois films diffèrent fortement – Tom Hanks incarne l’everyman soudain héroïsé dans le premier, les trois jeunes hommes jouent leurs propres rôles dans le second, Paul Walter Hauser se révèle dans son premier rôle d’envergure ici –, Eastwood explore à chaque fois le discours médiatique et le besoin de héros, prégnant aux États-Unis.

Le spectateur ne peut alors que s’interroger sur la part de hasard propre à ces trois histoires : Sully, pilote expérimenté sachant convoquer son instinct au bon moment, trois amis américains éduqués dans la responsabilité personnelle et membres des forces armées, un vigile précautionneux suivant la procédure à la lettre. Trois « bonnes personnes au bon moment », en somme, mises en scène par des médias et des sociétés en quête de belles histoires, d’optimisme porteur de sens après des drames. Les New-Yorkais expliquent à Sully qu’entre le 11 septembre 2001 et le krach de 2008, son « miracle » est la meilleure nouvelle que la ville ait vécu en une décennie ; l’attentat évité du Thalys fut glorifié par une France traumatisée après l’attaque contre Charlie Hebdo. La différence du Cas Richard Jewell demeure le changement rapide du discours envers le protagoniste : de sauveur à suspect, au sein d’une enquête du FBI et d’un véritable procès médiatique, avant abandon des recherches trois mois après les premières suspicions, Jewell n’ayant jamais été formellement mis en examen ou inculpé.

Visuellement enfin, Eastwood reproduit un jeu sur les images en modifiant des contenus télévisuels : après avoir inclus, par retouche numérique, Tom Hanks et Aaron Eckhart dans des images d’archives du late-show où David Letterman recevait Sully et son personnel de bord, il reproduit le format des talk-shows et conférences de presse, contraignant des acteurs confirmés (Sam Rockwell, et Kathy Bates dans le rôle de la mère de Jewell) à jouer des quidams, à retrouver la spontanéité d’anonymes.

Adapté d’un livre d’enquête par Billy Ray, le scénario développe la thématique classique du faux coupable, renforcée ici par des personnages excentriques ou hors du commun : un avocat libertarien dont le bureau arbore une affiche « Je crains le gouvernement plus que le terrorisme » (Sam Rockwell), une journaliste arriviste (Olivia Wilde, dont la caractérisation du personnage a été jugée diffamatoire et misogyne par plusieurs critiques aux États-Unis), un agent du FBI s’obstinant dans sa fausse piste (Jon Hamm). Le discours, sinon antigouvernemental, du moins méfiant envers l’autorité fédérale, n’est pas nouveau chez Eastwood : il faut se souvenir de son portrait à charge des forces et politiciens de l’Union dans Josey Wales hors-la-loi (1976) ou de sa déconstruction de la propagande de guerre dans Mémoires de nos pères (2006). Le Cas Richard Jewell semble justement incarner une déception face à un idéal : un pays fondé sur des principes constitutionnels, un habeas corpus, une procédure pénale transparente, qui tolère pourtant des erreurs judiciaires et des mises en accusation par les médias. Mais « chacun a droit à ses opinions », comme le déclare l’avocat de Jewell à l’agent fédéral lui indiquant qu’il considère toujours son client coupable : le Premier Amendement protège la presse tout comme les Miranda Rights garantissent les droits des accusés. La critique d’un droit pénal états-unien fondant souvent ses jugements sur la personnalité des individus reste un trope du cinéma américain, comme dans Révélations (Michael Mann, 2000) ou La Voie de la justice (Destin Daniel Cretton, 2020), et l’évidente innocence de Jewell laisse le spectateur interrogé : quelle tendance l’emporte, entre besoin de héros et rapacité du public ?

Le présent film traite avant tout de l’intrusion, en particulier dans les scènes de perquisitions, et se distingue ainsi de Sully et du 15H17 pour Paris, dont les héros sont vite retournés à un relatif anonymat. Aux experts de l’aviation civile reprochant à Sully de ne pas avoir suivi les bonnes procédures répondent ici les membres du FBI suivant arbitrairement la piste du « sauveur coupable », puis se rétractant pour chercher jusqu’à l’absurde un complice de Jewell. La même rupture d’un optimum gouvernemental désiré aux États-Unis se produit : des enquêteurs techniques ne connaissent pas le vécu des pilotes, tout comme « l’élite » de la police états-unienne se fourvoie, jusqu’à ce que le faux coupable qu’elle interroge exprime sa déception de simple agent de sécurité face aux méthodes de ceux qu’ils considéraient comme « les meilleurs ». Les États-Unis peuvent faire mieux, juridiquement et médiatiquement, clame Eastwood, conservateur et humaniste, critique et impliqué.

Il est enfin agréable de constater comment Eastwood, aidé par un scénario empathique, continue de suivre ses personnages au quotidien, de rajouter une strate dans son grand ensemble sur la sociologie des États-Unis : ici en s’intéressant à Atlanta, aux journalistes et au milieu des professionnels de la sécurité, mais aussi en suivant deux héros, Jewell et son avocat, attachés à leur liberté sans devenir individualistes. La scène-clé pourrait être la dernière du prologue, où celui qui n’est encore qu’un juriste au sein de la Small Business Administration tend à l’agent de sécurité, quelques années avant son acte héroïque de 1996, un billet de cent dollars en lui indiquant qu’il s’agit d’un cadeau et d’un rappel : le pouvoir transforme les gens ordinaires en « connards », et même un simple policier ou vigile devrait éviter une telle corruption morale. Un appel à la décence personnelle rejoignant l’exigence, d’essence conservatrice mais de visée universelle, d’un gouvernement exemplaire et respectueux des libertés individuelles.

La critique d’Eastwood contre les médias et le FBI ne s’apparente donc pas à un pessimisme ou à du « populisme », mais à un discours à deux facettes : le portrait, classique dans le cinéma américain, d’un individu broyé par les institutions, dominé par des pouvoirs au-dessus de lui, et une méfiance, fréquente aux États-Unis, envers le gouvernement, vu comme une entité par essence liberticide. Que les présentes attaques concernent en particulier la presse et la télévision, leur goût du sensationnel et de la condamnation a priori, ne devrait pas discréditer le film auprès de la critique et du public.