
Un médecin birman
Le Dr Zaw Wai Soe, ministre de la Santé et de l’Éducation du gouvernement birman d’union nationale, parcourt clandestinement le monde pour réclamer plus de soutien à son gouvernement face à la junte militaire au pouvoir depuis février 2021. Il a rencontré la revue Esprit à Marseille, et insisté sur la nécessité d’une reconnaissance de son gouvernement, ainsi que sur un renforcement de l’embargo sur les armes.
La revue Esprit a accueilli à Marseille le docteur Zaw Wai Soe, ministre de la Santé et de l’Éducation du gouvernement birman dit d’union nationale, resté fidèle à Aung San Suu Kyi. Le NUG (National Unity Government) est le gouvernement d’opposition à la junte au pouvoir à Rangoun depuis le dernier coup d’État de février 2021, après que les militaires ont récusé le résultat des législatives du 8 novembre 2020, qui avaient donné une large majorité à la Ligue nationale pour la démocratie.
Poursuivi pour trahison et alors que la junte birmane a repris depuis cet été les exécutions capitales contre ses opposants politiques, le Dr Soe passe discrètement les frontières pour rencontrer des responsables politiques, des journalistes et des intellectuels et alerter sur la situation politique au Myanmar.
Pour le Dr Soe, la prise de pouvoir par les militaires a relevé de la technique la plus élémentaire du coup d’État. Des résultats défavorables aux législatives, la contestation des résultats et finalement l’emprisonnement des dirigeants du mouvement et l’arrestation massive des opposants. Lui-même, après avoir été chirurgien et recteur d’université sans attachement politique fort, mais proche de nombreux dirigeants, y compris militaires, a dû en huit jours mettre sa famille à l’abri et préparer sa propre clandestinité avant que les militaires ne viennent pour l’arrêter et brûler sa maison.
La suite du coup d’État, logique elle aussi, a été l’organisation de la résistance et, comme toujours, sa double face : les mouvements collectifs, porteurs d’enthousiasme et de rêves partagés, et les drames individuels et familiaux, avec les arrestations, les familles séparées, ceux qui partent dans la clandestinité, prennent les rênes du mouvement dans les régions sous contrôle du NUG ou à l’étranger.
Le Dr Soe rappelle que si, vue de loin, la junte fait mine de diriger le pays, la réalité est plus nuancée : les militaires contrôlent la plupart des grandes villes du Myanmar, mais le NUG de l’opposition démocratique est très largement implanté dans les zones rurales et notamment le long des frontières de l’Est. Le NUG se retrouve à être un mouvement politique, progressivement un mouvement militaire de résistance, mais aussi un gouvernement de gestion des zones dont il a la responsabilité. Le Dr Soe parcourt ainsi le monde en réclamant plus de soutien politique à son gouvernement, un blocus plus efficace sur les armes et l’arrêt des soutiens à la junte, mais aussi des médicaments et des vaccins pour la population qui vit dans les zones sous la responsabilité du NUG.
Le Dr Soe parcourt le monde en réclamant plus de soutien politique à son gouvernement.
Porteur des deux revendications essentielles du gouvernement d’union nationale, une reconnaissance du NUG comme seul gouvernement officiel du Myanmar (au-delà de la non-reconnaissance de la junte) et le renforcement de l’embargo sur les armes et l’arrêt de tout soutien à la junte, le Dr Soe, qui reste optimiste, fait une analyse inquiétante de la situation géopolitique. Puisque la Russie de Poutine a les mêmes intérêts à soutenir la junte qu’à faire la guerre en Ukraine, puisque les Chinois ont le même intérêt à garder une position d’observateurs attentifs, le temps de choisir le camp des vainqueurs, et puisque, contrairement à l’Ukraine, ni l’Europe ni les États-Unis n’ont le moindre intérêt à agir, il ne voit pas d’où viendrait l’appui salvateur. Pis, il sent que le Myanmar pourrait rejoindre la longue liste de ces pays pris en tenaille dans une histoire plus grande qu’eux et soumis aux aléas des intérêts russes, chinois et indiens. Le seul pays de la région qui a apporté un soutien inconditionnel au NUG est le Bangladesh.
Son optimisme est à hauteur d’homme : celle d’un chirurgien entré en politique qui ne peut qu’inscrire son destin personnel dans une lutte contre un totalitarisme dont l’objectif est l’anéantissement de sa propre liberté.