
Les trois ruptures de Mars 68 en Pologne
Les étudiants se sont révoltés à Varsovie contre la censure d’une pièce de théâtre. Puis, face à la répression, les intellectuels leur apportent leur soutien. Enfin, une vague d’antisémitisme emporte le pays et étouffe la révolte. Mais ces trois ruptures forment une nouvelle génération d’opposants.
Je me souviens être venu à Nanterre, en avril 1968, pour un forum organisé par le Mouvement du 22 mars. J’avais vingt ans, j’étais étudiant en lettres à Nice, responsable de l’Unef, militant de la Jcr[1]. Il faisait beau. Nous étions répartis en « commissions thématiques », assis sur la pelouse. J’avais choisi celle consacrée aux révoltes à l’Est. Nous parlions de Prague et de Varsovie. Nous savions qu’une opposition de gauche luttait contre le « pouvoir bureaucratique » polonais depuis l’échec des réformes de 1956. Nous étions quelques-uns à avoir lu et diffusé, dans nos lycées ou à la fac, la fameuse Lettre ouverte au Poup de Jacek Kuron et Karol Modzelewski[2]. Lors de ce forum, des étudiants tchèques ou polonais nous informaient des luttes récentes, et de la répression.
Nous étions solidaires. Mais il y avait plus. Kuron et Modzelewski nous parlaient d’un autre socialisme possible, antibureaucratique, un socialisme des Conseils (nous dirions aujourd’hui autogestionnaire) et qui, à Prague, était mis en pratique dès les premières grèves du printemps 1968. Nous avons suivi cela avec passion, avant et après l’intervention soviétique jusqu’à la liquidation de ces Conseils par Dubcek en 1969[3]. Vous me direz qu’en France et en Pologne, ces préoccupati