
La justice au cœur de la guerre en Ukraine
De l’invasion armée d’un pays au nom de motifs fallacieux, et au mépris de tous les traités internationaux, jusqu’aux attaques contre les hôpitaux et les écoles, en passant le pillage des musées et la déportation des enfants, la Russie conduit une guerre par les crimes. C’est pourquoi la résistance doit être présente également sur le front judiciaire.
La justice est décidément au cœur de la guerre en Ukraine. Des crimes de toute nature s’y accumulent depuis le 24 février 2022. Ils présentent cette particularité d’être à la fois classiques et inédits ; non que le nouveau coexiste avec l’ancien, mais parce qu’ils y sont au contraire totalement imbriqués. D’où la nécessité de désimbriquer ce qui est lié à la guerre en soi et ce qui est propre à ce conflit. Faire le départ entre les deux fournit non seulement des repères pour l’action présente, mais aussi des éléments de compréhension du futur.
Un ancien crime dans un nouveau monde
Le président russe porte l’entière responsabilité de la guerre d’agression contre l’Ukraine sous des prétextes fallacieux. C’est un choix délibéré et non une nécessité imputable à l’Otan, alliance défensive. Or le crime d’agression, reconnu comme celui qui rend possible tous les autres crimes de guerre, y compris les crimes contre l’humanité et le génocide, est considéré comme la « mère de tous les crimes » par la communauté judiciaire internationale. L’ancienne formulation de « crime contre la paix » donne toute sa signification à la situation actuelle : le président russe a violé ensuite la « valeur sacrée des traités » pour reprendre l’article 227 du traité de Versailles, qui visait expressément le crime contre la paix. N’oublions pas que le crime contre la paix était la première incrimination du procès de Nuremberg. Pacta sunt servanda (« Les conventions doivent être respectées »), et il ne faut pas oublier que les relations entre l’Ukraine et la Russie étaient scellées par des traités internationaux et le mémorandum de Budapest (1994). C’est donc le crime fondateur du droit pénal international qui a été commis par Poutine.
Mais si le déclenchement de « l’opération spéciale » lancée par le président russe a visé d’abord et avant tout l’Ukraine, l’hostilité du discours du Kremlin est dirigée également contre « l’Occident collectif », notamment l’Europe. Par le renchérissement du prix des matières premières – dont il n’est pas à l’origine, mais qu’il a considérablement augmenté – et les opérations de désinformation, l’objectif est de casser la confiance des opinions publiques envers leurs gouvernements. C’est ainsi une attaque directe contre la démocratie, car cette politique ne vise par définition que les pays dans lesquels il existe une opinion libre et des élections. Ce crime contre l’ordre mondial se concrétise par une attaque contre les démocraties, en retournant le mécanisme de représentation contre lui-même.
Ce conflit a enfin profondément perturbé les marchés de l’énergie et des matières premières, à tel point que ce sont pratiquement tous les pays du monde qui en sont affectés. Il a profondément déstabilisé l’ordre du monde déjà bien ébranlé par la crise sanitaire.
Ce qui est nouveau, ce n’est pas l’agression, mais l’état du monde – d’où l’intérêt d’élargir la qualification d’un crime contre la paix et l’ordre mondial. Toute guerre bouleverse l’équilibre du monde, mais ce n’est pas la même chose de déstabiliser un ordre westphalien que de provoquer un choc dans un monde globalisé, c’est-à-dire intégré et dans lequel chacun est dépendant de l’autre. Si la guerre d’invasion n’est pas nouvelle (c’est peut-être même l’une des formes les plus anciennes de la guerre), l’importance de l’économie est tout à fait inédite.
C’est entre autres par le truchement de l’économie qu’ont réagi les pays occidentaux en prenant des sanctions qui visent à isoler la Russie. Ces sanctions sont destinées à frapper, non pas directement, mais par le biais du système économique, en excluant un membre d’un monde de flux. Une autre nouveauté est le vote de l’assemblée générale de l’Organisation des Nations unies du 15 novembre 2022 décidant la création d’un registre centralisé des dommages, de façon à en faciliter la réparation après la cessation des combats. Reste la difficulté de transformer l’argent saisi en un fonds spécial pour la réparation de l’Ukraine, qui ne va pas de soi d’un point de vue juridique1.
Le mécanisme et les mesures conservatoires commencent au moment même du conflit. Le temps vif de l’action et le temps réflexif de la justice et de la réparation sont confondus. La question des dommages est abordée avant que le conflit soit terminé. Il en va de même pour la justice dont le tribunal tente de s’installer avant la fin des hostilités. L’idée n’est pas nouvelle : les avertissements des Alliés aux puissances de l’Axe pendant la Seconde Guerre mondiale, qu’ils auraient non seulement à rendre des comptes de leurs crimes mais à réparer, étaient présents dès 1942. Ce qui est nouveau, c’est la boucle proposée et acceptée entre ces compensations et l’utilisation des actifs russes. On constate le même phénomène pour les preuves et la constitution de dossiers judiciaires déjà instruits.
Mais l’économie n’est pas qu’une discipline ou un secteur d’activité, elle est aussi une manière de voir le monde. Poutine a bénéficié de l’effet de surprise en réintroduisant brutalement la politique dans un monde trop tourné vers l’économie. Il crée un « drame » dans un monde qui ne croyait plus qu’aux « procès2 » ; il fait l’événement dans une Europe qui s’est laissé endormir par l’hypothèse d’une « fin de l’histoire », qui a négligé les passions et les actions individuelles en se polarisant sur les comportements rationnels3. Si le confort est le grand ennemi de la liberté, la réduction aux chiffres est celui de la politique.
Si la guerre de 1914-1918 a été une guerre industrielle, la guerre d’Ukraine ajoute à l’industrie, qui continue de peser, la dimension numérique. Le numérique fournit de nouveaux modes d’intervention. Mais il offre aussi une incroyable abondance de preuves, comme le montre l’exemple de la Syrie, d’où la nécessité de centraliser, préserver, classer et rendre disponibles ces éléments déterminants pour lancer des poursuites. Nous vivons désormais, du fait de l’économie et du numérique entre autres, dans un monde plein, c’est-à-dire intégré. À la différence des Russes, qui se servent de l’arme cyber selon une ancienne vision du monde, les Ukrainiens ont bien compris, depuis le début de la guerre, que le numérique est également un monde4.
Ce nouvel état du monde, Poutine ne l’a compris qu’à moitié : il s’est servi de l’interdépendance comme d’une arme. Comme en Syrie, il se sert de la capacité de circulation des réfugiés comme d’une arme de destruction massive5. Il mise sur la force anesthésiante du confort pour pousser les opinions occidentales à capituler, car elles ont trop froid. Il compte sur la prime qui revient au comportement barbare dans un monde embourgeoisé, pour reprendre la distinction du regretté Pierre Hassner6. Il conduit une guerre hybride, mais au service d’une vision ancienne : il continue de penser en termes westphaliens dans un monde global. Les Ukrainiens sont plus modernes : ils ont compris le monde et jouent au contraire de l’ouverture7.
Cette guerre, tout comme la pandémie, a déjà apporté un sérieux coup de frein à la globalisation, à l’image de la Première Guerre mondiale. Mais elle ne va pas rendre Internet obsolète, pas plus que les guerres du xxe siècle n’ont arrêté la mondialisation. Le défi lancé aux démocraties est cependant bien là. Parmi les réponses qu’elles doivent trouver, la justice occupe une place importante.
La guerre par les crimes
La guerre d’Ukraine est à la fois une guerre régulière et une guerre irrégulière. C’est une guerre régulière à haute intensité, « classique », pourrait-on dire, alors qu’on ne parlait plus que de conflits asymétriques, car elle est menée par des armées et met aux prises deux États souverains qui comparent leurs forces, avec pour arbitre ultime le terrain, conquis ou perdu.
Les modalités du conflit ne sont pas inédites (songeons au bombardement de Dresde) et aucune guerre n’est totalement régulière8. Mais la guerre irrégulière prend pour cibles directement les civils dans leur vie civile, c’est-à-dire en affectant leur capacité de survie9. Il y a même un rapport entre les échecs dans la guerre régulière et les attaques irrégulières contre les infrastructures civiles. Une fois encore, c’est le plus ancien droit de la guerre qui est bafoué.
Ce qui est visé par ces crimes, c’est la civilité, voire la civilisation.
Poutine confirme, dans la conduite de la guerre, une nouvelle catégorie de crimes contre l’humanité : un mélange de provocation (il est totalement désinhibé et ne prend même plus de précautions pour cacher ce qu’il fait), de terreur (il cherche moins à casser le moral de l’ennemi qu’à le terroriser, comme le montre son jeu dangereux avec le nucléaire à Zaporijia) et d’inhumanité (en s’attaquant prioritairement aux hôpitaux et aux écoles, voire en minant les cimetières – tout se passe comme si, plus encore qu’un peuple, il voulait détruire le soin porté aux malades et aux enfants). C’est moins la masse qui l’intéresse (le crime contre l’humanité est un acte commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique) que ce qui définit l’humanité commune. Il ne cherche plus à déshumaniser les prisonniers en les maltraitant, les torturant et les violant, en tuant ce qu’il y a d’humain en eux, mais à tuer le sentiment d’humanité des soignants et des éducateurs en leur interdisant d’accomplir leur tâche. Ce qui est visé par ces crimes, c’est la civilité, voire la civilisation.
Les civils ne sont plus des victimes collatérales que l’on néglige et qui font les frais de soudards ou de bombardements indiscriminés ; ils sont désormais directement visés pour les faire fuir et pour les transformer en arme de destruction massive. Plus que de la barbarie, c’est devenu une manière de faire la guerre. C’est en cela que cette « guerre à la Poutine », qu’il a déjà pratiquée en Tchétchénie, en Syrie et qu’il pratique aujourd’hui en Ukraine, doit parler à la conscience de l’humanité. Les autorités ukrainiennes ne s’y sont pas trompées : elles ont compris qu’il fallait combattre sur le terrain avec ses lignes de front, mais aussi, devant cette manière de faire la guerre par les crimes contre les civils et contre le sentiment d’humanité, instruire ces crimes de façon à rendre la justice possible.
L’entrée en jeu des hommes de Wagner marque la coexistence de la guerre par l’armée et d’une guerre milicienne10. On pourrait voir un précédent dans l’utilisation de compagnies privées par les Américains en Irak, mais celles-ci n’intervenaient pas directement à côté des unités combattantes. À tout le moins, nous assistons à une dé-formalisation de la guerre et à un affaiblissement corrélatif du droit.
Les bombardements (notamment avec des bombes incendiaires, comme récemment à Kherson) ont pour but, non seulement de casser le moral de l’arrière, mais de les faire fuir et de se servir des réfugiés comme d’une arme, à l’image de ce que les Russes ont fait en Syrie. La stratégie militaire se sert de la mondialisation et de la capacité des individus à circuler, ce qui était moins le cas dans le monde d’hier. Mais le recours à la terreur n’est pas réservé à l’ennemi ou à faire régner l’ordre dans ses propres troupes. La sanction filmée de l’homme qui a déserté les Wagner est à cet égard révélatrice du caractère « dual » de la guerre (plutôt qu’hybride, pour réserver cet adjectif à la guerre spatialisée et déspatialisée).
Un crime généalogique
Il y a une part moins spectaculaire des crimes commis lors de cette guerre, qui ne sont pas encore documentés. C’est notamment le pillage du musée de Kherson et ce qui peut s’apparenter à un effacement de la culture ukrainienne. C’est à tort que certains y ont vu l’utilisation par Moscou de « l’arme culturelle ». Il s’agit bel et bien de la volonté de priver un peuple de l’accès à son histoire. Pour Poutine, il n’existe pas de peuple ukrainien. Il est encore trop tôt pour parler de génocide culturel11, mais il est clair que les élites russes ne tolèrent pas l’émancipation d’une nation ukrainienne souveraine et indépendante, qui mettrait fin au rêve d’empire de l’État russe12.
Ces faits prennent une coloration particulière du fait de l’histoire des relations entre le pouvoir russe et l’Ukraine. Tous ces crimes ressemblent en effet aux crimes staliniens. On ne peut pas ne pas penser au Holodomor. Raphael Lemkin, l’inventeur de la notion de génocide, voyait dans ce crime de masse « l’exemple classique du génocide soviétique, l’expérience de russification la plus longue et la plus vaste : la destruction de la nation ukrainienne13 ». Les crimes du passé éclairent les intentions des auteurs de la guerre actuelle : la négation de l’identité d’un peuple.
S’agissant de la déportation des enfants, on n’en sait pas grand-chose, si ce n’est la déclaration cynique qu’ils ont été conduits en Russie pour y recevoir un « traitement approprié à leur état ». On est sorti de la propagande pour entrer dans la langue totalitaire avec son « insolence du mensonge ». Cette pratique avait déjà été employée en Crimée14. La loi russe rend ces enfants adoptables en un jour seulement. C’est sur la base de faits substantiels qu’une plainte a été déposée le 21 décembre 2022 devant la Cour pénale internationale pour génocide15. Comment ne pas faire le rapprochement avec la déportation d’environ 200 000 enfants polonais par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale en vue de la « germanisation » ? On sait que certains de ces enfants sont destinés à l’adoption, ce qui n’est pas sans rappeler les pratiques des dictatures sud-américaines ou encore du franquisme. Toucher aux enfants, c’est amputer la capacité de perpétuation du groupe victimisé.
Qu’il s’agisse de la culture ou des enfants, la Russie se livre en Ukraine à un crime généalogique, en montrant sa volonté de priver un peuple de son ascendance culturelle ou de sa descendance biologique.
Ces possibles crimes doivent faire l’objet d’une enquête ou, faute de pouvoir la conduire, d’un recueil du maximum d’informations pour étayer ensuite une accusation. Ce travail de justice, l’Ukraine l’assume depuis le début de la guerre, avec les démocraties qui ont pris conscience de la gravité des faits : des équipes communes et volantes interviennent dès le début des hostilités, de façon à introduire de la justice le plus en amont possible, manifestant une confiance inédite dans la vérité de la part d’un belligérant.
L’urgence d’une réponse judiciaire
Face à ce crime d’agression et à cette guerre par les crimes, une réponse judiciaire s’impose. L’idée de réunir un tribunal ad hoc a été très vite lancée par Philippe Sands16. Plusieurs démarches de justice internationale sont en cours, d’initiative officielle17 ou citoyenne18. Trois possibilités s’offrent aujourd’hui : passer par la Cour pénale internationale, créer un tribunal sous l’égide de l’ONU, à l’image des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, ou appuyer ce tribunal sur le Conseil de l’Europe. Des obstacles quasi insurmontables ferment les deux premières ; reste la voie européenne, qui semble à la fois la plus praticable et la plus signifiante.
Il reste que les obstacles juridiques ne doivent pas conduire à renoncer à tout jugement des dirigeants de la Fédération de Russie. Et c’est une question politique, plus que de droit. L’histoire nous enseigne depuis 1945 qu’il n’y a pas de sécurité en Europe sans une sanction individuelle – qui passe par des procès comme ceux de Nuremberg ou Tokyo – des auteurs des agressions, sans examen critique du passé par les élites et les partis, les professeurs et les clergés, et l’installation de régimes démocratiques et d’États de droit, autant de fondements d’une véritable réconciliation. La Russie redeviendra fréquentable lorsque l’association Memorial aura recouvré son droit d’établissement et de pédagogie publique.
Poutine ne cesse de se référer à la « Grande Guerre patriotique » mais, une fois de plus, il n’en tire pas tous les enseignements. Il n’élargit pas son regard aux débuts de la Seconde Guerre mondiale, qui a commencé par le pacte germano-soviétique, pas plus qu’à ce que le monde a découvert à la fin de cette guerre : la Shoah. Il n’a donc pas compris la dimension refondatrice de ce crime dans la construction européenne. Il a définitivement empêché de faire ce travail en interdisant Memorial. Cette interdiction est révélatrice d’une volonté d’obérer toute perspective de justice sur le goulag. La justice historique n’a toujours pas pénétré la culture des élites russes, à la différence du peuple qui en garde la mémoire vivante dans sa chair, comme le montrait le travail de Memorial. « Ceux qui ne connaissent pas leur passé sont condamnés à le revivre », dit-on souvent. C’est ce que démontre la Russie d’aujourd’hui, qui s’enferme dans une fierté de plus en plus mortifère (et dépassée).
N’est-ce pas l’une des grandes leçons du xxe siècle que la paix n’était pas l’acte ultime de la guerre, mais qu’elle devait partager cette place éminente avec la justice ? Chaque guerre de ce siècle s’est terminée par un désir de justice intensifié19. La justice est la condition d’une paix durable et de la stabilité en Europe.
- 1. Cela ne peut passer que par un traité international ou des lois internes, à l’image de la loi canadienne de décembre 2022. Une autre stratégie consisterait à restituer les avoirs saisis pour ne pas encourir l’accusation de spoliation, mais en considérant la Fédération de Russie comme un pays paria (au même titre que l’Iran, par exemple) et donc, pour les économies occidentales, à sanctionner les entreprises qui commerceraient avec elle, de façon à l’obliger à s’asseoir à la table des négociations pour régler la question des dommages de guerre et de réparation des atteintes graves commises sur les populations civiles.
- 2. Raymond Aron, Dimensions de la conscience historique [1961], préface de Perrine Simon-Nahum, Paris, Les Belles Lettres, 2011, p. 253.
- 3. Voir Datawar, « Bons chiffres, fausses prédictions ? Pourquoi la guerre en Ukraine a pris l’Europe par surprise » [en ligne], La Vie des idées, 25 octobre 2022.
- 4. Les premières cyberattaques contre les installations électriques ukrainiennes ont eu lieu le 23 décembre 2015.
- 5. Voir l’entretien avec Denys Chmyhal, Premier ministre ukrainien : « La Russie veut créer un tsunami de réfugiés, afin de déstabiliser les pays européens », Le Monde, 16 décembre 2022.
- 6. Pierre Hassner, « Le Barbare et le Bourgeois », Politique internationale, no 84, été 1999, p. 90-91.
- 7. Voir Shi Zhan, « La première guerre du métavers » [en ligne], trad. par David Ownby, Le Grand Continent, 7 juin 2022.
- 8. Voir à ce sujet Jean-Vincent Holeindre, La Ruse et la force. Une autre histoire de la stratégie, Paris, Perrin, 2017.
- 9. La visite récente en Ukraine de Volker Türk, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, a permis de communiquer à l’ONU, le 15 décembre 2022, des informations recueillies par son bureau sur les « exécutions sommaires et les attaques contre des civils » dans plus de cent villages et villes des régions de Kiev, Tchernihiv et Sumy, entre le 24 février et le 6 avril 2022 (meurtre de 441 civils). M. Türk, qui a noté que les enquêteurs tentaient également de corroborer 198 autres meurtres présumés, a ajouté qu’il y avait de « fortes indications » pour que les exécutions sommaires décrites dans le rapport de son Bureau puissent constituer le crime de guerre d’homicide volontaire.
- 10. Une telle situation est très répandue, notamment en Afrique. Voir la décision de la Cour internationale de justice sur les activités américaines au Nicaragua (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique, arrêt du 27 juin 1986).
- 11. Dans le statut de la Cour pénale internationale, c’est un crime de guerre. Voir la condamnation de Ahmad al-Faqi al-Mahdi, un membre du groupe extrémiste islamiste Ansar Dine. Al-Faqi, qui a plaidé coupable aux accusations de crimes de guerre liés à la destruction de sanctuaires et mausolées musulmans à Tombouctou, a été condamné à neuf ans d’emprisonnement.
- 12. Voir Michel Foucher, « Ukraine-Russie, la carte mentale du duel », Tracts Gallimard, no 39, mai 2022 ; et Ukraine. Une guerre coloniale en Europe, Paris, L’Aube, 2022.
- 13. Raphael Lemkin, « Le génocide soviétique en Ukraine » [1953], Commentaire, vol. 127, no 3, 2009, p. 637-652. Voir aussi Yves Cohen, Jean-Marc Dreyfus, Luba Jurgenson et Pierre Raiman, « L’écho du Holodomor » [en ligne], Esprit, novembre 2022.
- 14. En Crimée, il y a eu deux vagues de déportation de la population tatare, sous l’empire russe et sous le régime soviétique (dans les années 1940). Hommes, femmes et enfants ont été envoyés en Asie centrale, notamment en Ouzbékistan. C’est donc une pratique bien inscrite dans la culture des dirigeants russes.
- 15. La plainte, déposée par l’association Leur liberté est la nôtre, représentée par Me Emmanuel Daoud, vise la déportation de 13 000 enfants.
- 16. Philippe Sands, “Putin’s use of military force is a crime of aggression”, Financial Times, 28 février 2022.
- 17. Sergiy Kyslytsya, ambassadeur d’Ukraine aux Nations unies, et Christian Wenaweser, l’envoyé du Liechtenstein, ont proposé la rédaction d’un projet de résolution portant création d’un tribunal international pour poursuivre les plus hauts dirigeants de la Russie pour crimes d’agression contre l’Ukraine. Compte tenu du droit de veto de la Fédération de Russie au Conseil de sécurité, un recours à l’Assemblée générale est la seule voie possible.
- 18. Une déclaration du 4 mars 2022, adoptée par des politiciens de haut niveau et des juristes internationaux, se réfère aux précédents de Nuremberg et de Tokyo pour affirmer que le « tribunal spécial devrait être constitué selon les mêmes principes qui ont guidé les Alliés en 1942 » et qu’il pourrait être « mis en place rapidement ». Les signataires ont proposé une « Déclaration sur un tribunal spécial pour la punition du crime d’agression contre l’Ukraine », destinée à être signée par les gouvernements.
- 19. Voir les articles 227 et 228 du traité de Versailles, puis Nuremberg et Tokyo, puis les tribunaux pénaux internationaux (Rwanda, ex-Yougoslavie), puis le traité de Rome et la Cour pénale internationale. Dans tous ces cas, allié à la justice, c’est un nouveau système de sécurité collective qui en est sorti : la Société des Nations après la Première Guerre mondiale, l’Organisation des Nations unies après la Seconde, le système de complémentarité avec la Cour pénale internationale, qui faisait pièce à la mondialisation après les années 1990, qui s’effondre aujourd’hui devant nos yeux. Notre tâche de demain sera de construire une justice plus adaptée et de s’atteler à un nouveau système de sécurité collective.