
National-populisme et christianismes
Les ressorts d’un ralliement paradoxal
Si le populisme permet de conjurer la crainte du déclassement des chrétiens, le christianisme permet de conjurer la crainte du multiculturalisme des populistes.
Les 3 et 4 février 2020, un congrès a réuni à Rome des figures éminentes du populisme de droite autour du thème “God, Honor, Country: President Ronald Reagan, Pope Jean-Paul II, and the Freedom of Nations”. L’événement était coorganisé par la Edmund Burke Foundation, Nazione Futura, le Herzl Institute, le Danube Institute, l’International Reagan Thatcher Society et d’autres fondations alliées pour la promotion du national conservatism. On pouvait y croiser des Américains, Anglais, Hongrois, Italiens, Israéliens, Néerlandais et quelques Français ayant participé à la Convention des droites organisée en septembre 2019 par le mensuel L’Incorrect autour de Marion Maréchal. Le Premier ministre Victor Orbán y était la figure politique la plus éminente.
L’ambition de faire mémoire des relations de Ronald Reagan et de Jean-Paul II paraît surprenante même si leur opposition commune au bloc soviétique est certaine. Leur association a pour liant un récit qui hybride le roman national et l’histoire providentielle[1]. Le pape polonais et le président états-unien sont désignés comme de dignes successeurs de Pépin le Bref et du pape Étienne II faisant front contre les Lombards. Pourtant, l’augustinisme politique n’est plus une théologie légitime et, d’ailleurs, aucun ecclésiastique n’a pris la parole durant le colloque. Mais, comme l’observe Olivier Roy dans son dernier livre, la sécularisation du christianisme européen se traduit par une culturalisation des références chrétiennes[2]. Libérés de leur signification religieuse, ces symboles deviennent des marqueurs culturels patrimoniaux et peuvent faire l’objet d’une instrumentalisation politique. Patrick Buisson a explicitement revendiqué ce transfert de valeurs : « On se redécouvre non pas religieusement, mais historiquement chrétien […]. Il ne s’agit plus de croyance, mais d’une volonté de préserver un élément consubstantiel à l’identité française, que le catholicisme a profondément façonné […]. Abandonnés comme lieux de prières, les églises et les crèches s’offrent à nous comme symboles d’identité[3]. » La sécularisation rend possible le détournement populiste du religieux[4]. Ainsi du chapelet brandi par Matteo Salvini, de la crèche de Noël de Robert Ménard ou des crucifix de Markus Söder.
Reste que le paradigme de la sécularisation a ses limites. En effet, comment expliquer le succès des dirigeants populistes dans des aires géographiques bien moins sécularisées que l’Europe, comme le Brésil et les États-Unis ? Et, surtout, comment expliquer le ralliement électoral de certains chrétiens, protestants ou catholiques, aux dirigeants populistes ? Leur vote n’est-il pas le signe que ces dirigeants parviennent à répondre à une demande religieuse et non seulement identitaire ? L’exploration de cette dynamique des populismes de droite permet de souligner des facteurs explicatifs négligés jusqu’alors. Nous voudrions ici présenter quelques recoupements heuristiques à ce titre[5].
Contre le déclassement symbolique
Trois dynamiques semblent jouer dans le ralliement d’électeurs chrétiens aux populistes : sur le plan politique, le sentiment d’être abandonnés par les partis traditionnels de droite, qui se révèlent indifférents aux questions bioéthiques et incapables de freiner l’ouverture des possibles ; sur le plan social, la crainte que les revendications Lgbti relativisent la normalité du modèle familial dont les chrétiens ont fait un levier d’influence ; enfin sur un plan religieux, la rivalité avec un islam de plus en plus visible et perçu comme conquérant.
L’exemple américain permet de mesurer comment le vote populiste des chrétiens dépend du sentiment de déclassement qui résulte de la conjonction entre ces trois dynamiques. La sociologue Arlie Hochschild, attentive aux incidences politiques des émotions, a décrit le ressentiment des membres de la classe moyenne américaine[6]. Ces derniers ont l’impression de régresser socialement, parce qu’ils estiment que les valeurs qui fondent leur économie morale, comme le mérite, le travail ou la rectitude, ne bénéficient plus d’une reconnaissance suffisante des élites politiques. Ce sentiment de déclassement est nourri par la comparaison avec les nouvelles classes populaires issues de l’immigration et les minorités culturelles qui bénéficient des politiques de discrimination positive. La promotion de ces dernières est interprétée comme l’unité de mesure du déclin des classes moyennes. L’émergence de personnalités représentatives de la « diversité » amenuiserait leur propre capacité de représentation de l’Amérique. Les classes moyennes ont le sentiment de perdre le privilège d’incarner le modèle de l’American way of life. Mark Lilla a vu dans cette perception populaire des politiques « diversitaires » l’une des causes de l’échec politique des Démocrates[7].
Les chrétiens y sont d’autant plus sensibles que leur capacité prescriptive s’épuise dans la société. La marginalisation de la moralité chrétienne est interprétée comme une conséquence de la conjonction entre le libéralisme sociétal des élites et le multiculturalisme qui résulte des migrations. Les homosexuels et les musulmans se trouvent disqualifiés en ennemis de la perpétuation de l’authentique culture intrinsèquement américaine et chrétienne. Le mandat présidentiel de Barack Obama a ainsi été vécu, au sein de la base des white evangelicals, comme une persécution diffuse. Le Patient Protection and Affordable Care Act, promulgué en 2010, imposait ainsi aux entrepreneurs de financer la contraception indépendamment de leur éventuelle réprobation de celle-ci. Cette régression de la liberté de conscience, alors même que les couples homosexuels accédaient à la possibilité de se marier ou que les luttes contre les discriminations de genre étaient mises à l’agenda, a été interprétée comme la conséquence de l’hégémonie d’une élite qui privilégie les minorités sur la majorité des « vrais » Américains. Au contraire, pour bénéficier du soutien des électeurs chrétiens, Donald Trump revendique la fermeture des frontières à l’égard des musulmans, refuse les mesures qui contribuent à mettre le statut des homosexuels à égalité avec celui des hétérosexuels et prône une restriction, voire une prohibition de l’avortement. Il ne néglige pas de mobiliser de petits marqueurs culturels à hauts rendements. Par exemple, condamner le politiquement correct de ceux qui disent « joyeuses fêtes » et non « joyeux Noël ». Par ses prises de parole, le président restaure le christianisme comme fondement de la norme majoritaire. Pour ses électeurs chrétiens, qu’importe que sa vie n’y soit pas conforme, il y fait allégeance en reconnaissant sa suprématie, le reste relève de sa vie privée.
Outre la confrontation à la « diversité », la revendication de l’égalité des sexualités a une importance particulière dans le ralliement des chrétiens au vote populiste. En France, j’ai pu observer son rôle dans la montée en puissance d’un sentiment de déclassement dans l’univers catholique[8]. La sensibilité exacerbée des catholiques à la normalisation de l’homosexualité trouve sa cause dans une mise à l’épreuve de leur identité de corps, à la fois sexué et social. La normalisation de la famille homoparentale les déstabilise d’autant plus qu’ils ont donné à leurs pratiques familiales un horizon politique. C’est en tenant leur rôle de père et de mère, d’époux et d’épouse qu’ils estiment résister à la déconstruction de l’ordre social par la libéralisation des mœurs. C’est aussi parce qu’ils pensent que leurs couples résistent mieux au divorce, que l’agencement des sexes y est conforme à la nature ou que leurs enfants réussissent mieux, qu’ils s’estiment fondés à exercer une autorité sociale et morale en donnant l’exemple. La capacité à perpétuer un modèle familial reposant sur le mariage hétérosexuel est le socle à partir duquel bien des chrétiens pensent être l’authentique élite en charge de guider le peuple. L’ouverture du mariage aux personnes de même sexe et la promotion de l’homoparentalité contribuent directement à saper cette prétention. Cette dévaluation de l’ordonnancement de leur corps sexué se traduit directement par un déclassement de ce qu’ils représentent socialement.
La revendication de l’égalité des sexualités
a une importance particulière dans le ralliement
des chrétiens au vote populiste.
C’est alors leur corps collectif, leur identité de chrétiens dans la société, qui se trouve ébranlé. L’inversion de la question homosexuelle déplace symboliquement les catholiques de la norme à la déviance[9]. Ils craignent d’être mis au ban de la société en raison de la lutte contre l’homophobie. Leur ralliement aux principes de la démocratie trouve sa limite car ils ne peuvent accepter un régime politique qui rend discutable ce qui ne peut se discuter : l’ordre naturel dont ils se font les porte-parole. Que Vladimir Poutine propose de faire mention de Dieu et d’inscrire la définition hétérosexuelle du mariage dans la Constitution montre à quel point les dirigeants populistes savent jouer de cette attente. Des dispositions analogues existent déjà en Croatie, en Hongrie et en Pologne. L’hétéronomie religieuse permet de donner aux régimes représentatifs un fondement alternatif aux droits de l’homme.
Dans tous les cas, la transaction entre populistes nationaux et chrétiens a au moins une dimension statutaire. Leurs relations dépendent de leurs ennemis communs : les élites libertaires ou cosmopolites, les immigrés et surtout les musulmans, les minorités sexuelles. Contre ceux-ci, les nationaux-populismes restaurent la capacité des chrétiens à incarner la norme sociale à vocation dominante.
Les racines chrétiennes
Si le populisme permet de conjurer la crainte du déclassement des chrétiens, le christianisme permet de conjurer la crainte du multiculturalisme des populistes. C’est contre la protection libérale accordée aux cultures minoritaires que le populisme s’érige en défense du référent démocratique qui se trouverait dénié. Il oppose le droit de la majorité à imposer sa conception du bien par la loi à la logique libérale d’égalisation des conceptions du bien devant la loi.
La conception d’un État neutre, qui n’aurait pour fonction que d’arbitrer les conflits résultant de l’exercice de la liberté individuelle, se trouve disqualifiée par l’identification populiste faite entre l’État et un peuple singularisé par son héritage culturel, religieux et éventuellement ethnique. À ce titre, les « racines chrétiennes » sont devenues un topique des discours populistes, que ce soit en France, en Italie, en Pologne, en Hongrie, en Bavière ou ailleurs. Dans un contexte de déchristianisation, la banalisation de l’expression ne manifeste pas un retour de la religion au sens d’univers de croyances régulées par une autorité institutionnelle, c’est un effet de la dissémination du religieux comme ressource de sens offerte à chacun pour se construire ou se reconnaître des liens privilégiés avec d’autres. Patrimonialisé comme matrice culturelle, le christianisme est instrumentalisé comme frontière politique. Il permet de concurrencer l’identification du peuple aux citoyens en construisant un « vrai » peuple identifiable à sa culture. Les musulmans se trouvent symboliquement exclus du corps civique et leurs demandes disqualifiées comme des déviances.
Patrimonialisé comme matrice culturelle,
le christianisme est instrumentalisé
comme frontière politique.
Cette substitution du corps culturel du peuple aux procédures judiciaires et légales-rationnelles, garantes des droits individuels, renoue avec la construction symbolique de la monarchie sacrée. Pour Andrew Arato, il existe des affinités profondes entre la rhétorique populiste et certaines théologies politiques[10]. Le populisme restaure, d’une manière modernisée, une symbolique sacrale du pouvoir qui avait été évidée, pour reprendre une formule de Claude Lefort, par la dynamique du libéralisme politique. De manière analogue à la distinction entre les deux corps du roi décrite par Ernst Kantorowicz, la rhétorique populiste rappelle que les titulaires du pouvoir ne sont légitimes qu’en tant qu’incarnation passagère de l’identité du peuple, ce corps immortel que l’histoire ne peut altérer. Cette dynamique met en opposition les horizons démocratiques et libéraux et génère la variante des régimes représentatifs qu’est la démocratie illibérale : l’exercice du pouvoir n’y serait légitimement démocratique que dans la mesure où il n’entrave pas la perpétuation de l’identité du peuple, c’est-à-dire ne tranche pas ses « racines ».
Cette attente jette le soupçon sur les élites politiques, toujours suspectes d’être « le parti de l’étranger », que ce soit en raison de la politique d’accueil des migrants ou de la signature de traités de libre-échange. Ce raisonnement protectionniste a sa déclinaison religieuse. Les partis populistes, tout en revendiquant une extension de la laïcité par des politiques de neutralisation de l’espace public pour rendre les mœurs musulmanes invisibles, souhaitent y faire exception pour les formes visibles du christianisme en raison de leur caractère patrimonial. C’est à ce titre que la présence de crucifix ou de crèches dans les bâtiments publics est défendue en Italie, en Bavière ou en France. C’est également suivant ce raisonnement que plusieurs députés français ont demandé l’inscription dans la Constitution des « racines chrétiennes de la France ».
Pour Benjamin Moffitt, le populisme est avant tout un style, une capacité à représenter le peuple de manière performative[11]. Il repose donc sur des opérations de réagencement d’éléments de la culture politique qui le précèdent. Ainsi, l’absolutisation du corps civique renoue avec la sociodicée religieuse utilisée par l’Église pour christianiser les nations païennes à la chute de l’Empire romain d’Occident. La mythologie de l’élection divine de la nation juive fut alors utilisée au profit des peuplades barbares, qui reçurent la mission de diffuser et de défendre la foi chrétienne. Dans les partis populistes, le chef est l’héritier indirect des rois oints par Dieu. Il incarne la rémanence de cette vocation religieuse du peuple et cristallise cette attente sur lui en se présentant comme un sauveur en capacité de chasser le mal et d’interrompre la décadence[12]. Que ce soit au Brésil ou aux États-Unis, cette dimension sotériologique était présente dans les légitimations par les prédicateurs évangéliques du vote en faveur de Jair Bolsonaro ou de Donald Trump.
Autrefois considérée comme un obstacle à l’émancipation civique du peuple, la culture chrétienne est désormais mobilisée comme une ressource d’affirmation de la majorité, pour contrer les prétentions des minorités, et surtout des musulmans, à faire reconnaître leur différence comme un droit. Elle est une frontière qui distingue les « vrais » Français des autres et leur réserve l’exercice légitime de la souveraineté. Les racines chrétiennes prennent une fonction politique analogue à la figure des Gaulois dans la culture républicaine du xixe siècle. Ces derniers permettaient d’affirmer une unité nationale antérieure à l’œuvre des rois et d’exalter un esprit d’indépendance face aux prétentions impériales allemandes héritées de Rome[13]. Pour certains pays du groupe de Visegrád, le christianisme permet aujourd’hui d’exalter l’identité nationale face aux nouvelles menaces que ferait peser l’Union européenne sur leur indépendance. Il est un renfort symbolique qui permet de parachever la construction nationale des pays marqués par un accès tardif à cette indépendance et une conscience aiguë de sa fragilité[14].
L’émergence des populismes de droite est à remettre en perspective avec le mouvement des nationalités. Comme l’a noté Anne-Marie Thiesse, rien de plus international que la fabrique des nations au xixe siècle[15]. Aujourd’hui, ce renouveau du nationalisme prend la défense de la civilisation chrétienne comme étendard. Cette rhétorique correspond à la dynamique de constitution des clivages civilisationnels décrite par Samuel Huntington : « Nous savons qui nous sommes seulement quand nous savons qui nous ne sommes pas, et souvent seulement quand nous savons contre qui nous sommes[16]. » Le christianisme permet donc à la fois de hiérarchiser à l’échelle nationale les authentiques membres du peuple des autres et, à l’échelle internationale, de distinguer les alliés et les ennemis en blocs.
La mobilisation du christianisme comme culture permet ainsi de renouveler le nationalisme en lui donnant un horizon civilisationnel. Dans la rhétorique nationale-populiste, les fantasmes de la guerre civile et de la guerre mondiale se superposent et tracent une même ligne de front imaginaire. La présence d’une minorité musulmane, le terrorisme djihadiste ou les flux migratoires se trouvent alors nivelés comme des manifestations différentes d’une même menace étrangère. Cette construction de l’ennemi permet de comprendre que le populisme puisse articuler sans incohérence la fermeture des frontières nationales et l’intensification des alliances politiques transnationales. Avec The Movement, créé en 2017, Steve Bannon a tenté d’accélérer les alliances entre les populismes de droite européens. À l’échelle internationale, Israël et la Russie constituent actuellement deux pôles d’offre d’alliance géopolitique auprès des dirigeants populistes mobilisant une argumentation antimusulmane. Pour ces puissances, l’internationale populiste de droite est devenue une voie privilégiée d’exercice du soft power. Quel rôle jouent les réseaux chrétiens conservateurs dans cette géopolitique ? Cela reste à étudier.
Compromission ?
Au xixe siècle, la fabrique du commun national, comme unité culturelle, a été la condition de la démocratisation des sociétés européennes. Au xxie siècle, la dynamique populiste peut être interprétée comme une actualisation de ce processus. La substantialisation chrétienne du peuple semble la condition de la restauration de sa capacité politique nationale. Le populisme est une réaction à l’affaiblissement du socle civique nécessaire à la perpétuation de l’État-nation. Au sein des droites populistes, l’exercice du pouvoir dans les régimes représentatifs est perçu comme un autoritarisme libéral, c’est-à-dire un usage de l’État en vue d’entraver les mœurs majoritaires au nom du respect des minorités et des choix individuels.
À cet égard, il y a dans le populisme une aspiration à une restauration du politique à entendre. Dans la critique populiste du libéralisme politique, certains arguments ne sont pas sans évoquer ceux de Michael Sandel contre la république procédurale de Rawls[17]. L’autorité de l’État n’est plus reconnue comme l’expression d’une communauté historique à l’égard de laquelle les citoyens sont attachés par des devoirs, mais comme la prétention d’une collectivité agglomérée ou d’une « élite déracinée » dont il faut subir les tracasseries administratives et les vexations symboliques. Un style politique reste à inventer pour que la défense du pluralisme et la reconnaissance de la diversité apparaissent comme un approfondissement de l’unité nationale et non comme un affaiblissement.
Comme aux xixe et xxe siècles, l’exaltation du peuple comme matrice de la cité a un caractère exclusif et violent. Les ennemis ont changé. Hier, l’impérialisme était allemand ou soviétique, aujourd’hui, il est identifié au marché économique ou à l’Union européenne. Le capitalisme, en accroissant l’écart entre riches et pauvres et en contribuant à mélanger des populations culturellement hétérogènes, est perçu comme une menace à l’ordre national. Hier, l’ennemi intérieur pouvait être catholique, juif, franc-maçon ou protestant, aujourd’hui, il est identifié aux migrants et plus spécifiquement aux musulmans. Reste que si les motifs ont changé, la structure du populisme de droite est dans la continuité de celle du nationalisme. Et le ralliement d’une partie des chrétiens n’est pas sans évoquer leur compromission antérieure avec d’autres partis de l’ordre, cette fois pour contrer le danger interne et externe qu’était le communisme.
Aux États-Unis comme en Europe, cette tentation est d’autant plus grande aujourd’hui que la foi décline au profit des nones, les sans-religion. Leur nombre croissant au sein de la jeunesse américaine manifeste que la sécularisation de la société est en cours. En faisant surgir le culturel du cultuel, la rhétorique populiste permet aux chrétiens de conserver les privilèges dus à une religion majoritaire, alors qu’ils se raréfient. Elle préserve leur statut symbolique à l’abri des moins-values statistiques. Reste que l’opportunité de l’alliance avec les partis populistes est une source de conflit au sein des Églises. Le pape François a utilisé des formules sévères à l’encontre de Donald Trump. Les dirigeants populistes manquent rarement une occasion de dénoncer ses prises de position. En Europe, l’opportunité d’un ralliement aux populistes divise les chrétiens parce qu’il contribue en même temps à séculariser leur foi en culture, et à les maintenir au sommet symbolique de la société alors qu’ils sont en déclin. Cette tentation manifeste leur difficulté à faire le deuil d’une foi qui offre dès ici-bas le salut rassurant d’un ordre social.
Notes
[1] - Voir Dominique Borne, Quelle histoire pour la France ?, Paris, Gallimard, 2015.
[2] - Olivier Roy, L’Europe est-elle chrétienne ?, Paris, Seuil, 2019.
[3] - Cité par François Bousquet, La Droite buissonnière, Paris, Éditions du Rocher, 2017, p. 299.
[4] - Voir Nadia Marzouki, Duncan McDonnell et Olivier Roy (sous la dir. de), Saving the People: How Populists Hijack Religion, Londres, Hurst, 2016.
[5] - Je développe ici une réflexion amorcée dans les notices « Christianisme » et « Racines chrétiennes » publiées dans Olivier Dard, Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois (sous la dir. de), Le Dictionnaire des populismes, Paris, Éditions du Cerf, 2019. J’en profite pour remercier Blandine Chelini-Pont et Marie Gayte de leur précieux éclairage sur les États-Unis.
[6] - Voir Arlie Russell Hochschild, Strangers in Their Own Land: Anger and Mourning on the American Right, New York, The New Press, 2016.
[7] - Voir Mark Lilla, La Gauche identitaire. L’Amérique en miettes, trad. par Emmanuelle et Philippe Aronson, Paris, Stock, 2018.
[8] - Voir Yann Raison du Cleuziou, Une contre-révolution catholique. Aux origines de La Manif pour tous, Paris, Seuil, 2019.
[9] - Voir Éric Fassin, « L’inversion de la question homosexuelle », Revue française de psychanalyse, vol. 67, no 1, 2003, p. 263-284.
[10] - Voir Andrew Arato, Jean L. Cohen, “Civil society, populism and religion”, Constellations, no 24, 2017, p. 283-295.
[11] - Voir Benjamin Moffitt, The Global Rise of Populism: Performance, Political Style, and Representation, Palo Alto, Stanford University Press, 2016.
[12] - Voir Patrick Charaudeau, « Réflexions pour l’analyse du discours populiste », Mots. Les langages du politique, vol. 97, no 3, 2011, p. 101-116.
[13] - Voir Syvain Venayre, Les Origines de la France. Quand les historiens racontaient la nation, Paris, Seuil, 2013.
[14] - Voir Max-Erwann Gastineau, Le Nouveau Procès de l’Est, Paris, Éditions du Cerf, 2019.
[15] - Voir Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales. Europe xviiie-xxe siècle, Paris, Seuil, 1999.
[16] - Samuel P. Huntington, Le Choc des civilisations [1996], Paris, Odile Jacob, 1997.
[17] - Voir Michael Sandel, « La république procédurale et le moi désengagé », dans André Berten, Pablo da Silveira et Hervé Pourtois (sous la dir. de), Libéraux et communautariens, Paris, Presses universitaires de France, 1997.